Il y a la vie juste là. Elle caresse chaque cellule de ma peau et se glisse jusqu’à mes lèvres. Je voudrais l’embrasser. Je voudrais m’y lover comme dans un cocon. Mais nous sommes en octobre et elle est froide cette vie. Elle vient claquer un peu violemment mes joues et figer le sang dans mes doigts. Mes lèvres tremblent et ne vont pas tarder à prendre une teinte bleutée.
Sur ma peau se dresse la chair de poule, fière et raide. Je devrais avoir chaud au milieu de cette foule, toutes ces vies qui se côtoient. Mais le vent s’engouffre entre les jambes, derrière les dos. On se frôle sans jamais se toucher. 20.000 personnes, pieds dans les baskets, qui s’excusent chaque fois que leur peau en rencontre une autre. Par inadvertance. Dans un élan de bonne humeur. Dans une bousculade amicale.
Le départ ne va pas tarder. Je sautille sur place. Je me frotte les bras. Je souffle dans mes mains. Je regrette d’avoir mis un short. Je relace mes baskets, cinq secondes avant que la foule ne commence à s’avancer. Les gens me contournent, sans me toucher. Les inconnus restent inconnus. La tension monte petit à petit. La ligne de départ s’approche. Dangeureusement. Inévitablement.
Dans le megaphone, une voix nous encourage. 60 minutes c’est l’objectif fixé ce matin pour courir ce 10 kms. On est prêts. C’est idiot, mais là, à quelques secondes du départ, je suis émue. Emue d’être dans cette foule qui veut se dépasser. Émue d’être là, un an tout juste après avoir accouché. Émue de ce nouveau défi qui m’attend. Émue de cette folie douce, ce plaisir douloureux, cet effort formidable que je donne et demande à mon corps.
Le départ est lancé et je sens dès les premiers mètres que je suis partie beaucoup trop vite. Avant le deuxième kilomètre, déjà, certains se mettent à marcher. Non, j’en ai encore sous la semelle. Encore 8 kilomètres ! Une fille passe à côté de moi, filant comme une gazelle. Elle lance à ses poursuivantes « 5.50 par kilomètre ! On continue comme ça les filles ! C’est parfait ! » 10 secondes plus tard, je l’ai perdue de vue. Conclusion pour moi : je ne ferai jamais les 10 kilomètres en 1h !
Au quatrième kilomètre, un mec assez carré est devant moi. Il est suivi de près par un coach qui le pousse, le coache, l’encourage. J’aurais pu fermer les yeux et prendre ses mots pour moi. Au lieu de ça, je souris. Mon coach à moi, il est parti y a déjà 20 minutes, et inconsciemment il me pousse aussi. On arrive sur le premier pont. On y voit en contrebas des coureurs qui passent en-dessous. Je suis un peu perdue sur le parcours du tracé. J’accelère malgré moi et me sermonne intérieurement : mon rythme passe du tout au rien. Aucune régularité. Je fatigue mais je n’ai pas mal aux jambes et mon souffle se maintient. Je rêve pourtant de m’arrêter juste un instant. Une gorgée d’eau, une pause pour mes muscles, respirer un peu plus naturellement. Le panneau du cinquième kilomètre m’apparaît à des années lumières. Je pourrais m’arrêter une fois qu’il sera derrière moi, seulement une fois qu’il sera derrière moi. C’est un but, un objectif que je me suis fixée. Mes jambes passent au-dessus de la ligne intermédiaire de mesure de temps. Bip, bip.
5 kilomètres. Je m’arrête quelques secondes, saisis ma bouteille d’eau attachée à la ceinture, et souffle. J’ai chaud, et pourtant ma main me fait encore mal. Le bout des doigtsest encore endolori et les fourmis viennent me chatouiller sous les ongles. Je marche un peu. Je me dis que j’aurais finalement pu continuer, quelques centaines de mètres encore. Se fixer des objectifs intermédiaires ne me paraît finalement pas une très bonne chose quand on veut battre un record personnel… Mais c’est plus fort que moi.
Je repars en trottinant. Je me sens super bien, c’est juste un plaisir là, soudain, de courir. J’ai la sensation de voler, l’impression que mes jambes glissent au-dessus du sol. La Seine est juste là, et je cours juste à côté. Ça a un côté magique.
6 kilomètres. 7 kilomètres. La route file. La fatigue se rappelle à moi. Je cède un peu trop de temps dans les petites remontées de tunnel. Je croise un duo de copines. Elles sont à mon rythme et on finira la course à peu près au même niveau. Non sans mal. L’une d’entre elles est ultra motivée. Courir ne semble ni la faire transpirer ni la faire souffrir. Elle saute devant les photographes et garde toujours le sourire. Un modèle cette fille ! Sur les deux derniers kilomètres, elle encourage son amie à ne pas céder. Et comme ça semble difficile pour elle : visage fermée, bras lestés et jambes lourdes, elle ne semble vouloir ne faire qu’une chose : jurer. Dans le dernier tunnel, la foule répond en hurlant « On n’est pas fatigués » à une question lancée en l’air par quelques coureurs motivés.
9 kilomètres. Il ne reste rien. Un kilomètre à peine. Je sais déjà que j’ai trop marché pour être à 1h de course à la ligne d’arrivée. Mais j’ai bien couru, je suis fière. Au loin, l’arche d’arrivée apparaît alors que des coachs se relaient pour nous encourager dans cette dernière ligne droite.
800m. 700m. 300m. 200m. Je pousse tout. Je lâche rien. Un coureur qui me fait une queue de poisson. J’évite le carambolage au dernier moment. La ligne d’arrivée est là. J’accelère. Mes jambes me portent. Je donne tout ce qui me reste. Bip bip. 10 kilomètres parcourus !! Je suis essoufflée, trempée. La médaille ! Surtout prendre la médaille. Je l’ai fait. J’ai réussi ! Mon compteur affiche 1h05m08s. Record battu de plus de deux minutes ! De l’eau, et vite retrouver mon coach au milieu de la foule. Les frissons succèdent à la chaleur intense. Les muscles se tétanisent, j’ai failli oublier les étirement. Vite, un bisou. C’est le soulagement. J’ai réussi! On a réussi !!
Nighthawk says
Belle victoire sur soi 🙂 Bravo !
Plus techniquement, c’est une course que tu prépares depuis longtemps ? Le 10 km, c’est un défi que j’aimerai bien me fixer 🙂
Julie says
J’ai repris la course depuis le mois de janvier. J’y suis allée progressivement 3 puis 5 puis 7 sans jamais depasser les 8 kilomètres ! Pas top la préparation lol 😉 mais j’ai fait aussi pas mal de cardio à la maison et de la musculation je pense que ça m’a aidée ! Au plaisir !
Il y a aussi des séances de prepa que tu peux trouver sur le net…
Ana says
BRAVO !
J’ai un beau souvenir de cette course