Alors qu’au coeur d’un lundi matin morose je sortais du bureau en quête d’un sandwich pour ma pause déjeuner, je me suis retrouvée prise dans une nuée de lycéens à la recherche, de leur côté, du bon plan pour échapper à la cantine scolaire. Ticket resto à la main, habillée tout de noir, mes lunettes de secrétaire sur le bout du nez, je n’ai pu m’empêcher de me poser en observatrice au milieu de ces collants troués, et autres chevelures ébourriffées. Je sens à nouveau cette envie de me glisser dans un coin qui me tapote l’épaule alors que j’ai bel et bien quitté la cour d’école pour celle des grands. Et pourtant, à peine le malaise m’a-t-il efleurée car elle est venue se faufiler jusqu’à moi, avant de disparaître en fumée au contact de ma peau.
Je suis désormais de l’autre côté, vieille presque. J’ai désormais 10 ans de plus, et bien que la sensation d’être esseulée au milieu des autres se fait encore sentir parfois ; là au milieu des ces lycéens, je me suis surtout sentie différente, écartée avec bonheur, plus forte et bienheureuse de n’être plus des leurs.
Tandis que j’attendais patiemment mon tour au milieu de la file de bonnets posés sur la tête, et de sacs des années 90 revenus subitement à la mode, j’ai remarqué une chose : la rumeur insidieuse de la fausseté et de l’hypocrisie planait dans la sandwicherie. Cette rumeur âcre et lourde qui vient écorcher la peau, et faire couler le mascara, tordant les tripes et accélerant le rythme du coeur. Comme absente de la scène, un fantôme happé par la vie bourdonnant tout autour, les visages, les sourires, les gestes m’interpellaient. J’ai ainsi aperçu des côtes saillir sous un pull ample et épais noir d’une fille au sourire impeccable, et au regard pétillant. Ses jambes ne semblaient n’être que deux bâtons raides lui offrant cette « thigh gap » qui fait la grimace des rues et la joie des magazines.
En face d’elle, l’une de ses amies la regardait avec malaise, touchant à peine ses potatoes, en mangeant une moitié puis jetant l’autre sur la table en signe de preuve de sa bonne foi.
En face de moi, les regards de deux garçons se sont lancés des éclairs lorsque l’un d’eux a reçu un sms d’une longueur infinie. La salive a eu du mal à passer, et le message est resté secret pour l’un des deux, qui a fini par tourner les talons. Pour l’autre, tête tantôt basse, tantôt haute, les mains tantôt craquées, tantôt sur la bouche, l’heure est grave.
Ca grouille, çà gazouille, çà s’ignore, çà s’observe, et cela à longueur de temps, le long de chaque seconde de chaque jour.
Le lycée forge notre personnalité, et maintenant qu’il se trouve des années derrière moi, je ne peux qu’en constater les effets. Grandir, se débattre au milieu d’une troupe qui ne sait pas où elle va, au sein d’esprits aussi perdus que bornés, trouver son chemin sa voie alors même que la survie en milieu scolaire, du collège à la fac se base sur l’imitation et l’intégration. S’écarter du groupe pour prendre le temps d’apprendre à se connaître soi-même, mieux définir ses envies et ses aspirations alors que l’isolement rend tout plus sombre à défaut de nous éclairer.
Certains y laissent des plumes, d’autres y laissent leur peau.
Personne ne sort indemne de cette prise d’indépendance, de cette période de choix. Prendre son envol alors qu’une partie de nous est encore enchaînée… Se libérer des chaînes pour pouvoir se détacher des jugements. Combien y arrivent ? Vous, moi, avons-nous vraiment réussi ? Finalement, on ne fait que grandir encore, on ne fait qu’apprendre toujours, chaque jour un nouveau pas vers la pièce d’à côté…
maviedebrune says
Jolie texte, tellement vrai !!
Marie May says
En lisant ton (très beau) texte, je ne peux m’empêcher de penser à mon fils (qui a 11 ans) et qui va doucement se laisser glisser vers l’adolescence… Je ne sais pas jusqu’à quel point cette période est douloureusement exacerbées par une projection tellement importante qu’elle prend le pas sur la réalité… Un peu comme si ces doutes qui nous habitent tous à cette période, et qui sont légitimes, étaient attribué aux autres. un peu comme si la peur d’être jugée de la même façon que l’on se juge soi-même était décuplée… Depuis peu, j’ai pris l’habitude de lui parler de la différence entre ce qu’i pense et ce qu’il voit et la manière dont l’extérieur peut éventuellement analyser la situation, pour lui donner l’habitude de prendre un peu de recul… J’espère que ça suffira.
Sinon, mes cuisses ne se touchent pas et je ne suis ni au régime ni boulimique. Non, c’est bête, mais j’avais envie de le dire, parce que parfois, cela peut être un peu douloureux… Le monde est fait de personnes fines (peut-être trop, mais on fait ce qu’on peut), moins fines, rondes, très rondes… peut-être qu’il n’y a rien de grave à ça. (Coup de gueule du matin!)
FleurDeMenthe says
Coucou. Je t’avoue qu’en écrivant ces mots sur cette taille Gap, j’étais pas sûre de moi… Une idée fixe entendue qui s’est figée dans mon esprit 😉 La maigreur (et non la minceur) m’effraie bien souvent. Merci pour cette mise au point 😉
Je te souhaite de traverser l’adolescence de ton fils le mieux possible…
Melody says
Très sympa cet article. Personnellement (à mon époque!) j’ai trouvé le collège plus dur que le lycée. Les méchancetés entre enfants/ado étaient féroces et blessantes. Mais au final, dans le monde du travail ce n’est pas mieux, on blesse les autres juste différemment.
(ps. C’est thigh gap = le fait que les cuisses ne se touchent pas)
x Melody
FleurDeMenthe says
Je suis entièrement d’accord avec toi : le collège a été bien plus dur pour moi aussi ! Mais avec le recul, la prise d’indépendance qui vient avec le lycée rend les choses plus sournoises… Le collège offre des enfants qui grandissent trop vite, des caractères boutonneux aux impulsions sans réflexion. Le lycée donne de l’intelligence à la chose… enfin je crois.
Thigh Gap ! Oh la la décidément j’aurais vraiment dû me documenter sur la chose 😉 Merci de ta visite
Sabrina says
superbe texte qui m’a rappelé des souvenirs aussi 🙂
Pareil, 25 ans et aucune nostalgie quad je regarde ces lycéens qui en leur temps avaient plutôt tendance à m’emm**** qu’autre chose.
Tu parles de se différencier, perso je l’ai fait à cette âge là et depuis le collège mais à que prix ! Insultes collectives, pas d’amis, je traînais avec des gens plus vieux, hors lycée, la vie de ces adolescents superficiels qui se jaugeaient tous les uns les autres et avec une hiérarchie basée sur le physique/les fringues ne m’intéressait pas. Je le leur disait et ça m’a valu d’être tout le temps exclu de ces groupes « in » mais franchement après coup tant mieux (même si j’en ai souffert), ça a renforcé mon caractère indépendant, rebelle et quand je vois sur Facebook aujourd’hui ce qu’ils sont devenus, je suis bien contente d’être restée moi-même ^^
FleurDeMenthe says
Se sentir exclu, rejeté, était bien difficile à l’époque. Et aujourd’hui, comme toi, je m’assume pleinement Et je vois que les autres de l’école (collège oy lycée) ont trouvé pour la plupart aussi leur propre chemin, et c’est tant mieux 😉
Olive Ô Saumon says
totalement d’accord avec toi. Mes années lycées, je préfère les oublier. Je n’ai pas pu m’épanouit en raison de la pression du groupe. Les générations se succèdent, mes ces situations se reproduisent malheureusement…