Qu’est-ce donc que ce sucre qui tombe du ciel ?
Je ne me souviens pas avoir vu maman saupoudrer le jardin de sucre glace hier soir… Il tombe en paquet de ce plafond lourd, gris, éblouissant de blancheur. Il se pose sur mes moufles, sur le capuchon en laine de Maman, sur la voiture. Bientôt, je ne la verrai plus. Elle disparaîtra sous le glaçage au sucre. Tout s’efface, et mes yeux ne tiendront bientôt plus le coup. Je cligne, je sers les paupières, et des larmes coulent sur mes joues. Ce sucre qui me tombe sur le coin du nez est tout de même tentant. Et si je tirais la langue pour essayer de l’attraper ? Ah, mais j’oubliais qu’elle est infernale à sortir et à orienter. Je suis sûre qu’elle se contente de sortir de ma bouche et rester au bord de mes lèvres. J’aimerais pourtant qu’elle fasse autre chose que téter la tétine du biberon. Elle doit bien servir à autre chose tout de même.
Voilà que je rentre au chaud maintenant… C’est malin de m’avoir habillée et arnachée de la sorte, pour finalement rester sur place… Moi j’ai encore envie de me voir le sucre glace se poser sur les fleurs du jardin et les carreaux de la terrasse. Et même que peut-être, haute comme je suis, je pourrais me coucher dans la volupté du sucre. Il a l’air si doux… Peut-être que je pourrais m’en couvrir comme la voiture, et jouer à cache-cache avec Papa. Il me poserait dans le sucre pendant que je le regarderais jouer sa pelle géante. Il mettrait son gros manteau bleu avec des endroits gris magique qui brillent. Il pourrait piocher le sucre et le faire tomber sur moi en pluie magique ! Oh oui, moi je veux aller dehors !! Je veux voir Papa et sa pelle gigantesque !! Mais « Papa ne rentre que ce soir » me glisse Maman au coin de l’oreille…
C’est vrai… le soir, quand le soleil dort, Papa se glisse dans ma chambre et vient me raconter les histoires merveilleuses des pays enneigés. Il me chuchote ses voyages avec une certaine Celestine. Il me dit que c’est Maman, mais j’ai bien du mal à le croire… Il me mime des animaux que je n’ai jamais vus. Enfin, presque jamais… Car un jour, j’ai découvert un Ours polaire dans ce qui s’est révélé être ma chambre. Il est gentil et sage, mais au début, ce n’était pas chose facile de l’apprivoiser. Il ne cessait de me regarder avec ses grands yeux, et puis, il est presque aussi gros que Papa… Mais j’ai fini par succomber quand ma main s’est glissée dans son poil. Il m’a souri !! Il m’a même prise dans ses bras… J’ai décidé de l’appeler Max. Chaque soir, il écoute rêveusement les épopées magiques de Papa au pays des neiges.
Voilà Maman, qui me prend dans ses bras. Elle me respire les fesses. Moi je déteste avoir cette masse visqueuse collée au derrière. Elle devrait le savoir depuis le temps… Je le savais, mes fesses sont propres ! Elle me pose sur ses genoux… Je sens qu’elle va me chuchoter, à son tour, les aventures extraordinaires de Max au pôle Nord !
» Il était une fois Célestine et Nathan, deux voyageurs amoureux qui ne rêvaient que d’une chose : vivre au plus près du froid. C’est donc armés de tous les espoirs de leur enfance qu’ils s’aventurèrent sur les terres enneigées de la Laponie. Dans leur valise, ils n’avaient pris que des vêtements en laine, des feuilles de papier, des stylos et un appareil photo. Dans la fusée qui les emmenèrent loin de leur maison, ils ne pensaient qu’au plaisir de fouler de leurs pieds ces terres qu’ils n’avaient fait qu’imaginer. Tout le temps du trajet, leurs mains ne se sont pas quittées. Une fois que la fusée magique les déposa sur le sol gelé de la Laponie, ils ont resserré leur manteau, chaussé leur capuchon, et enroulé une grosse écharpe en cachemire autour de leur cou découvert. Leur voyage venait enfin de commencer. Comme ils l’avaient imaginé, rien ne ressemblait au décor habituel de leur maison. Peut-être était-ce parce qu’ils savaient leur épopée provisoire, que Célestine et Nathan n’avaient jamais lâché leur sourire depuis leur arrivée. Leur maison n’avait ni eau, et ni électricité. Mais peu leur importait. Le froid s’immisçait en eux jusqu’à envelopper leur coeur. Il se mêlait à leur sang. Mais peu leur importait. Sur les terres du cercle arctique, Célestine et Nathan se mouvaient dans l’air froid comme s’ils l’avaient toujours connu.
Un jour, pour s’approvisionner en eau, Célestine et Nathan se sont rendus au « Lac de glace étoilé » à l’aide d’une motoneige. Là, il ont pris un pieu, l’ont enfoncé dans la glace, et en ont puisé l’eau. Alors qu’ils s’appliquaient à leur exercice, ils entendirent un craquement derrière eux. Un gros ours blanc se tenait juste là, à quelques dizaines de mètres d’eux. Que faire ? Rien, ils se contentèrent de le regarder rugir, puis repartir dans la direction de ce qui devait être son repère. Les avait-il vus ? Avait-il décidé de les épargner ?
Ces quelques minutes de silence polaire cachaient en leur coeur la résonance sourde de la reconnaissance. Un homme, une femme, un ours, et tout autour, de la glace, et de la neige. La vie a montré plusieurs facettes pour lier à jamais des êtres qui n’auraient jamais dû se croiser… Comment oublier une telle émotion ?
A l’aéroport, ils s’autorisèrent une folie : prendre sous le bras un souvenir grandeur nature : Max. Il incarnerait le symbole de la vie et du respect sur Terre.
Quelques mois plus tard, alors que le froid avait rapproché les corps, la vie offrait au couple de voyageurs amoureux, à Papa et Maman, un authentique trésor : une jolie petite fille que l’on a appelée Jonina… «