Il y a des mots que l’on utilise pas dans notre quotidien. Parce qu’ils font trop peur, parce qu’ils saisissent d’effroi, parce qu’ils nous provoquent la chair de poule, parce qu’ils étranglent notre gorge.
Ces mots ne savent pas sortir de notre bouche autrement que brusquement, brutalement, douloureusement. Des mots tabous, des mots empêtrés dans des sens interdits, des mots inaccessibles car inacceptables.
Pourtant, le plus commun d’entre eux est celui par lequel on passera tous, signalant la fin de notre vie. La sortie du monde des vivants pour entrer dans un autre univers. La spiritualité nous invite à croire aux âmes errantes, aux anges gardiens, aux esprits qui nous guident si on sait les écouter.
Mais la mort nous entraîne aussi dans la difficile acceptation de n’avoir plus que des souvenirs des êtres aimés et disparus, nous laissant orphelins de projets, seul détenteur du secret des instants passés à deux, seul survivant.
J’avais dans ma boîte à bijoux une alliance. Il y a plusieurs années, ma grand-mère me l’a donnée. Sans un mot, elle a ouvert ma main, y a déposé l’alliance de mon grand-père, et a refermé mes doigts dessus, laissant sa main envelopper la mienne quelques secondes. Son regard a croisé le mien plein d’interrogations et de questions sur ce geste, et le sien a scellé à jamais ce don comme un pacte.
Nous en avons jamais vraiment parlé. Pour elle, c’était une chose faite : l’alliance était à moi.
Je l’ai conservée dans ma boîte à bijoux pendant des années, rangée aux côtés de ces pacotilles qu’on ne porte qu’une fois. Spontanément, je me précipitais parfois dessus avec l’angoisse qu’elle ait disparu. Elle se rappelait à moi, parfois la nuit, parfois à des centaines de kilomètres de distance.
Un jour, un éclair m’a traversée et quelques jours plus tard, je me rendais chez un bijoutier avec l’idée fixe de monter l’alliance sur un bracelet. Cet anneau est un symbole fort d’engagement et d’amour, à l’origine de la naissance de ma mère, de la mienne, de celle de mon frère, un anneau lourd d’émotions. Le bijoutier s’en est saisi et n’a eu de cesse de le monter de manière à ce qu’il reste toujours sur le dessus du poignet. J’avais dans mes mains un anneau délaissé depuis 15 ans, abîmé par la vie, laissé trop longtemps au fond d’un tiroir, et j’allais lui redonner vie, lui donner de nouveau un sens.
L’anneau était entre les mains du magicien des souvenirs quand j’ai appris que mon grand-père n’avait pas porté son alliance aussi souvent que ce je voulais croire. Ces souvenirs que j’avais donc de ses mains épaisses et larges illuminées d’un anneau en or étaient donc pure invention de ma part, simple habillage de souvenirs d’enfant.
Quand bien même.
J’ai foi en la spiritualité, en ces anges qui nous guides, en ces âmes perdues au bord du chemin qui ne cessent de nous accompagner tant qu’on ne les oublie pas.
J’ai choisi d’écouter ce que cette alliance avait à me dire, j’ai choisi d’apaiser cette angoisse qui me liait à elle nuit et jour. Aujourd’hui, et depuis quelques jours, je la porte au poignet gauche avec une fierté sincère.
Comme ma bague de fiançailles, elle est désormais un de ces symboles sans lesquels je me sentirais nue. Chacune une part de mon coeur, l’une pour la famille que je me construit, et l’autre pour la famille qui m’a fait grandir.
Lorsque je me sens perdue ou anxieuse, il suffit que je les caresse du bout des doigts pour que me parvienne une bouffée de sérénité… Alors, je souris.
malise says
C’est un très joli texte, et tes mots me touchent beaucoup car je suis dans la même situation que toi, ou presque … L’alliance de ma Maman attend que je la ressorte de la boîte dans laquelle je l’ai rangée, mais je n’en ai pas le courage pour l’instant. Je l’ai portée pendant plusieurs mois juste après son décès, au majeur de ma main gauche car elle était trop grande pour moi. Elle est devenue mon porte-bonheur, mais je la surveillais tout le temps, parce que j’avais trop peur de l’abîmer ou de la perdre. Et puis elle me ramenait sans cesse à ma Mère. Alors je l’ai enlevée, le temps d’accepter. C’était il y a 8 ans, et je ne la porte toujours pas …
FleurDeMenthe says
Je suis touchée par ton histoire… Une mère : le poids sentimental doit être encore plus lourd… Je t’embrasse.
Mademoiselle K says
C’est un tres beau texte qui lie le passe, le present et l’avenir, autour d’un bijou, d’un objet sacre.
Je n’ai pu emmener que peu de bijoux dans mon depart mais j’ai tenu a garder cette bague offerte par un homme que j’ai aime, un homme qui est le pere de mon enfant. Je ne la porte pas parce qu’elle me rappelle trop le passe, un passe qui est trop frais, un depart qui me fait encore trop mal. Mais cette bague je la garde pour mon fils, pour qu’il se souvienne, pour qu’il sache qu’il est le fruit d’un amour. Que celui-ci se soit acheve dans la douleur et le chagrin n’a que peu d’importance.
Ta3mam says
Un texte très touchant et un bijou qui a une valeur incommensurable. Je ressens à peu près la même chose quand je regarde la bague de ma grand-mère. Je me rappelle toujours les instants où elle me disait qu’elle me la donnerait quand elle ne serait « plus ici » et je lui répondais toujours « mais non mamie, toi tu ne vas jamais mourir ! ». Sa monture était totalement usée, elle l’a portée pendant plus de 60 ans, tous les jours… Je t’embrasse