Ça s’est passé un jour de mai. Je suis tombée amoureuse de la moto comme on tombe amoureuse de son voisin de palier. On le croise tous les jours dans l’ascenseur, on échange des banalités et sitôt la porte de l’immeuble passée, on l’oublie. Jusqu’au jour où… jusqu’au jour où son regard croise le nôtre. Jusqu’au jour où on découvre que ce voisin est plus qu’une ombre croisée certains matins. Jusqu’au jour où…
Depuis des années, la moto fait partie de ma vie. En couple avec un motard, il aurait été difficile de la chasser. La moto était là, passagère de mon quotidien, à l’image des photos en noir&blanc accrochées au mur, ou des équipements encombrants enfouis dans le placard. Elle était là, à occuper l’écran de télévision, les débuts d’après-midi d’un dimanche sur deux. Les moteurs des bécanes lancées à plus de 300 km/h sur des circuits du monde entier. Un bruit de fond lancinant. Des pilotes qui tournaient en rond toute une heure durant. Un spectacle répétitif. Enfin je croyais…
Car tout a changé un jour de mai.
Un jour de mai, mon passionné de moto m’a emmenée sur le circuit du Mans pour le Grand Prix. Ce n’était pas ma première fois, … Il faut avouer que les précédentes rimaient avec ennui et perplexité. J’avais eu droit pour l’une à la pluie glaciale suivie d’une bronchite, et pour l’autre, au cagnard sarthois et ses coups de soleil.
Une fois les excuses bidons balayées d’un revers de main par monsieur, je n’avais plus le choix que de le suivre. Comment résister lorsque votre moitié vous regarde des étoiles pleins les yeux et vous confie qu’il adore partager ce moment de passion avec nous ? Impossible…
C’est ainsi que je me suis retrouvée au Grand Prix de Moto de France au Mans, encore une fois. Encore une fois où il a fallu se lever aux aurores, s’harnacher du pantalon de moto, des bottes de cosmonautes, et monter à cheval sur le destrier de son chevalier alors qu’on est gelée, que l’on sait que le cuir ne nous protégera pas du vent et de la fraîcheur matinale, et que deux heures plus tard, on aura mal au cou, mal aux fesses, mal au dos, bref, encore une vraie bonne journée.
Et là, sous le soleil printanier et chaleureux, j’ai compris. Les casquettes Repsol Honda, les gamins qui s’exclamaient à chaque passage de leur champion, les cris d’encouragement du public, les battles mécaniques entre les pilotes pour être en tête. Comme si toute cette énergie n’avait jamais circulé jusqu’à moi avant ce jour-là. Comme si je les voyais pour la première fois.
Cette course du Mans a été un vrai cadeau. Deux grands champions se sont battus, poursuivis, dépassés devant une foule en proie à la folie, la passion, l’espoir… L’historique champion Valentino Rossi était talonné par le jeune pur-sang Marc Marquez, avant que ce dernier ne réussisse à prendre l’avantage à quelques tours de l’arrivée. Et derrière, des bagarres, des esprits tenaces, déterminés à tenir la distance, la vitesse, la pression, la durée…
Les tours passaient, je pouvais reconnaître les pilotes aux couleurs de leur moto, une seconde et la suite sur grand écran, mais peu importait. J’appartenais à la foule de fans, main dans la main avec mon pilote. Je faisais partie de cette masse passionnée, portant une main à mon front à la peur de la chute, serrant le poing au premier dépassement, hurlant des encouragements à notre favori un peu trop distancé.
La ligne d’arrivée franchie, il restait dans l’atmosphère des effluves de testostérone, de passion et d’admiration. J’appartenais à cette masse compacte, heureuse d’être ici, d’avoir assisté au spectacle, sans déception ni frustration. Enfin j’atteignais cette lumière qui illuminait le regard de mon pilote, j’avais trouvé la fréquence.
Et c’est le sourire aux lèvres, que j’ai piétiné dans la foule, le casque au poignet cognant d’autres casques, suivant ma moitié comme on suit son ombre, rejoignant la moto au milieu de centaines d’autres. Combinaisons, et casques, nous sommes tous des motards. Nous avons repris la route, suivant des meutes, s’insérant dans d’autres. Sac de sable, passagère, et pourquoi pas pilote un jour, les fantasmes se glissent vite dans les veines…