On vient de passer à demain. Le compteur est remis à zéro en bas de mon écran. Le chat ne gratte plus le bas de la porte pour sortir. La petite fée Rose est enfin tombée dans les limbes du sommeil. La moitié du lit est colonisée par un sommeil profond et ronronnant. C’est le presque silence. C’est le silence fatigué du mercredi soir.
Il y a sur notre couette, un individu égaré. Il n’a pas de badge pour l’identifier ou d’étiquette pour le nommer. Il s’est échoué là, ce matin semble-t-il, envoyé en l’air par la tornade matinale de deux an qui habite nos murs. C’est le doudou, celui de la veille et de l’avant-veille qu’elle a oublié et remplacé dans sa fougue par un plus vieux, plus mûr, plus propre, et plus expérimenté.
Le doudou me regarde de ses yeux éteints. Son pelage est râpé par endroits, et son pelage a subi les envolées de quelques cuillères de carottes cuites. Je n’ose pas le déplacer sur le côté : lui qui a l’habitude de dormir avec sa grande tribu dans la chambre d’à côté. Il a été éjecté, mis au placard, pendant qu’eux ont toujours leur place dans le lit de leur petite fée.
Il y a Dony, l’ours en peluche géant, qui n’a pas son pareil pour calmer les crises de larmes. Il a souvent dans ses bras Lily, la poupée qui la suit depuis ses 3 mois, posant sur son bonnet violet une patte protectrice. Il y a aussi Barthélémy, le lapin voyageur qui lui chuchote au creux de la nuit les péripéties de ses voyages pleins d’aventures. Il se blottit contre la grande gigue de Lapinou, toujours prêt à tirer sur le fil de sa musique pour apaiser des ides tristes. Sa patte est toujours glissée dans celle du mouton qui a égaré son noeud papillon. Juste à côté de l’oreiller, en équilibre sur le rebord du matelas se tient Clémentine, la poupée Barbie chipée chez Mamilo. Sous la couette se cache Clément, le poupon sans cheveux qui cherche souvent sa place au milieu de la troupe de peluches.
A 20 centimètres du lit, à leur place exacte, décidée il y a quelques jours, les licornes de chaussons campent leurs positions de défenseurs alliés. Serrées l’une contre l’autre, les yeux rivés vers la porte de la chambre, la corne magique en avant, elles gardent leur poste quoi qu’il arrive.
Et puis, il y a les trois petits cailloux. Ceux qu’elle serre dans ses bras et embrasse avec une délicatesse à laquelle ils ne sont pas habitués. Ils lui chuchotent la musique de la mer quand elle les glisse près de son oreille. Ils lui font des chatouillis quand elle les cache dans son lit. Ils lui déposent des bisous quand elle les met sur ses joues. Trois petits cailloux, inséparables, qu’elle ne quitte jamais des yeux. Ils dansent dans ses mains, et rebondissent les uns sur les autres au rythme de ses efforts surhumains. La langue entre les dents, les « attends » qui s’échappent de ses lèvres, et la respiration coincée dans la gorge, elle les transporte dans toute sa chambre comme sur une carte au trésor.
Parfois, ils roulent entre ses jambes et se jettent sur le sol dans un bruit infernal. Elle se précipite alors sur eux en leur demandant s’ils vont bien et en les serrant contre son cœur.
Les aventures dans la chambre bleue sont pleines d’étoiles et de mystères. A l’abri des tissus, caché dans les pages d’un livre, ou secrètement abrité dans son imagination, tout prend vie. La vie à l’état brut. La vie en mode psychédélique. Les mille couleurs de la vie.