Il y a quelques temps, j’ai rencontré un homme d’une soixantaine d’années qui me confiait n’avoir aucun souvenir marquant au cours de ses dix dernières années. S’il réfléchit à ce qu’il a vécu, rien d’important ne lui vient en tête. C’était comme si, en s’accumulant dans son esprit, les souvenirs finissaient par ne plus trouver la place de s’installer. Comme si son disque de sauvegarde était utilisé au maximum. Les souvenirs glissent sans s’accrocher à la mémoire.
Il semblerait que plus on prend de l’âge, et plus la routine prend le dessus, reléguant au second plan, les expériences plus ou moins malheureuses qui forgent la force d’un souvenir…
Aujourd’hui, cet homme regrette de ne pas avoir écrit ses pensées, sa vision du monde, les tournants oubliés de ses décisions…
Quand on pense qu’en une minute, un claquement de doigt et tout peut disparaître : notre mémoire, nos souvenirs, ou nous-même. Toutes les émotions qui nous ont habité, toutes les hésitations qui nous privé de sommeil, nos coups de coeur, nos coups de gueule, nos sentiments, tout çà peut se volatiliser en un souffle.
Quand quelqu’un de cher disparaît autour de vous, n’avez-vous pas la sensation de perdre une partie de vous-même, que vos souvenirs vécus à deux s’amenuisent car vous êtes désormais l’unique témoin de ces instants ?
Conserver sa mémoire, la désolidariser de soi, confier ses sentiments à un carnet, utiliser la peinture ou le dessin pour se libérer du trop-plein d’émotions, créer de la musique, prendre des photos… Il existe tant de moyens de figer dans le temps tout ce qui nous est cher à l’instant présent. Certains diront qu’il ne faut penser ni au passé ni à l’avenir, mais vivre le moment présent tel qu’il est. Juliette Binoche disait dernièrement dans CàVous (F5) « Je n’ai pas ce regard sur le passé car je suis trop dans le présent. C’est pas seulement ancré, c’est être là où je suis au moment où je suis. »
Certes, mais n’est-ce pas grâce aux moments passés que l’on est ce que l’on est à l’instant présent. Ce sont toutes ces petites choses vécues qui nous créent, toutes les expériences traversées qui nous forgent. Notre vie n’est qu’un sablier qui s’égraine de minute en minute ne sachant à combien de temps on est de la fin. N’est-il pas d’autant plus important de lui donner de la consistance en détaillant plus que d’autres ce que l’on est.
Dans le livre de Frédérique Deghelt, « La vie d’une autre », livre que j’ai adoré, Marie se réveille à 37 ans en ayant oublié ses 13 dernières années. Dans le miroir, elle voit une femme qui n’est pas celle qu’elle voulait devenir à l’aube de sa vie d’adulte. Comment comprendre ce qui nous pousse à évoluer, à changer, si on ne note rien de ce qui nous construit, nous fait changer de route…
Notez vos idées, dessinez, pleurez sur vos pages, plongez dans l’émotion d’un paysage magnifique, mettez des mots sur des sentiments. Les souvenirs que l’on a de son passé ne suffisent pas, car on les regarde à travers un filtre flouté de notre point de vue d’aujourd’hui. Nos souvenirs ne sont pas authentiques, seuls ceux écrits au moment où ils l’ont été le sont. C’est ainsi que dans mes journaux intimes d’il y a dix ans, je me choque de retrouver des sentiments qui m’ont envahie. Sans ces écrits, je n’aurais conservé que certains détails oubliant les émotions, qui restent impalpables, qui ne s’accrochent jamais, et qui ternissent dans le temps…
Prenez le temps de laisser aller votre coeur, et le laisser s’épancher. N’est-ce pas ainsi que l’on se rapproche de soi ? C’est peut-être ainsi que l’on peut évoluer sans trop s’éloigner de ce que l’on est…
A lire : L’herbe bleue de Béatrice Sparks… parce que lorsque je l’ai lu, il y a plus de dix ans, j’ai cru à un authentique journal…
l'insatiable Charlotte says
Ton article est magnifique et tellement vrai.. On réduit souvent l’écriture à une thérapie,comme si cela ne pouvait que guérir, ça peut aussi permettre de garder, de conserver, de se souvenir effectivement… et de passer le flambeau, de transmettre…
Alors ne cessons pas d’écrire!!
Merci pour cet article, il fait du bien!!!
Ekapokopi says
C’est vrai, je regrette souvent d’avoir cessé d’écriture mon journal intime il y a dix ans. Les émotions sont tellement volatiles…
Emilie says
Ca me donne envie de me remettre à écrire 🙂
Laeti says
Ton billet est superbe 🙂 Tu as tout à fait raison, on devrait tous prendre le temps de poser sur papier ses pensées, ce qu’on a vécu, un souvenir qu’on veut garder à tout jamais, un sentiment… Mais pris dans la spirale de la vie et son rythme soutenu, nous ne prenons pas forcément le temps de le faire. Au risque de le regretter bien certainement, plus tard. Ton billet est un vent de fraîcheur et d’espoir, merci!! Bon dimanche à toi.
FleurDeMenthe says
@Laeti : Et oui… mais après tout, on est maître de notre temps… Le tout est de ne pas se laisser emporter par la tornade du monde actuel… Pas facile, mais possible…
@Emilie : Je suis touchée de t’avoir redonner envie d’écrire… Profites-en, j’ai moi aussi repris mes stylos pour laisser vagabonder mes pensées. Ca fait un bien fou…
@Ekapokopi : Il est jamais trop tard…
@Charlotte L’insatiable : l’écriture est magique, elle sert à pleins de choses 😉
Onee-Chan says
J’ai adoré ton article et je suis totalement d’accord avec toi ! Ca fait un moment que je tombe sur ton blog au hasard et que j’ai bien envie de m’abonner, cette fois je crois que je vais sauter le pas ! bisouxx
FleurDeMenthe says
@Onee-Chan Merci, c’est sympa de voir que mes billets résonnent chez les lecteurs, parfois 😉 A bientôt !