Un nouveau matin où le réveil sonne à 6h00, alors que ses yeux sont ouverts depuis plus d’une heure. Lui dort à ses côtés, ronflant légèrement. Il ne se réveillera pas avant deux heures au moins. Elle allume son téléphone. La lumière est à son maximum et l’éblouit. Aujourd’hui, c’est Jeudi. Déjà une semaine qu’elle attend ce jour. Déjà une semaine que s’oppose en elle le oui et le non, le peut-être et le sûrement pas, l’espoir et le raisonnable, la folie et le tangible. Alors elle ne va pas patienter plus longtemps. Elle se lève, fait quelques pas. Quelques minutes passent et ça lui suffit, elle sait.
Tout son univers s’effondre. Le sol s’ouvre sous ses pieds, les murs se resserrent sur elle. Ses intestins s’emmêlent alors qu’elle se dirige vers la salle de bains. Elle prend appui sur le lavabo avant d’affronter son regard dans le miroir. Ses yeux noirs ne pétillent plus. Une fois de plus, elle croise le reflet gris de son visage. Ses cheveux bruns n’ont pas été coupés depuis des mois et lui tombent autour du visage en mèches floues et ternes. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas osé un sourire franc et sincère ? Depuis combien de temps a-t-elle des nuages qui lui obscurcissent l’esprit jusqu’à éteindre sa joie de vivre ? Le miroir ne lui renvoie que l’image d’une femme grise et triste, aux cernes creusés. En ce matin d’octobre, elle paraît avoir cinq, dix ans de plus. Elle laisse son regard descendre le long de ses épaules, sa poitrine, son ventre plat. Elle y porte une main. Elle ne peut retenir une larme qui tombe de ses cils, lourde, franche. Le début d’un déluge. Une vague monte en elle, brusquement. Elle est démesurée, irraisonnable, passionnée. Elle ne sait pas la maîtriser, elle ne sait plus. Les mois se suivent et se ressemblent, sans qu’elle ne puisse rien faire pour le changer. Le poison se déverse dans ses veines, noyant ses joues, déformant son visage. Qu’y a-t-il à dire ? Qu’y a-t-il à faire ? En quelques minutes, tous les espoirs qu’elle avait osé avoir sont réduits à néant. Assise sur le rebord de la baignoire, ses pensées vont vers cet homme qui ronfle de l’autre côté du mur. Elle l’imagine, le visage posé sur l’oreiller, la bouche légèrement ouverte, ses longs cils reposant sur sa peau diaphane. Elle voudrait se jeter dans ses yeux, s’accrocher à son cou, goûter sa peau, trouver refuge dans le creux de son épaule. Mais alors, il verrait ses larmes, il la regarderait avec l’air de celui qui ne comprend pas. Et elle ne résisterait pas à l’appel du vide, elle plongerait, plus bas, plus profond.
Tous les sentiments qui l’animent fusionnent, ses larmes redoublent. La déception et la culpabilité se mêlent à l’amour. Des mois qu’ils imaginent leurs vœux devenir réalité. Plus d’un an qu’elle se demande s’ils y arriveront, si ensemble, ils aboutiront. Chaque mois, elle espère à coups de tests et de thermomètre, elle mesure, elle contrôle, elle note. Chaque mois, ils évoquent des prénoms sur le coin d’une table, au détour d’une conversation. Toujours les mêmes. Et tout disparaît toujours en fumée, un matin. C’est inexplicable comme son cœur se renverse ces matins-là, comme elle doute, comme elle prend peur, comme elle s’effondre. Chaque mois un peu plus, creusant un peu plus ses joues. Alors elle glisse sous le jet de la douche, laissant l’eau, la vraie, tout emporter dans le siphon. Ses angoisses, ses idées noires et ses larmes. Le savon nettoie tout. Bientôt, elle tournera une page de plus pour avancer dans l’histoire, leur histoire. Les chapitres sont encore nombreux.
Marie Kléber says
Un très beau texte qui nous renvoit à ce ventre plat qui ne rêve que d’être rond, à cette vie qui s’enfuit, un peu plus à chaque fois. Je trouve que tu saisit très bien cet état de fait saisissant, troublant, à la limite de l’incohérence, chargé de pourquoi, sans réponse.
FleurDeMenthe says
Je suis vraiment trouchée par tes mots, c’est ce que j’ai voulu tenter de transmettre, cette incohérence, cette fuite de l’imaginaire… Je t’embrasse.