Voilà une éternité que je suis engoncée dans mon siège de voiture. Je n’arrête pas de m’endormir. Mon menton tombe sur ma poitrine sans arrêt. Papa a bien essayé de me maintenir la tête droite pour que je sois mieux, mais je suis tellement fatiguée. C’est trop difficile…
Il se passe quelque-chose. L’air est différent. Le ciel est différent. La lumière est différente. Et même Maman et Papa sont différents. Je reconnais cette légère odeur d’herbe coupée et de terre mouillée qui vient se glisser jusque dans mon nez. Bon je suis un peu enrhumée, mais ça ne l’arrête pas ! Elle est très forte ! Maman me fait de grands sourires, elle me parle de cette bonne odeur de fumier qu’elle adore… Ça doit être ça.
La voiture s’arrête. Tout le monde descend. Tout devient soudain très silencieuse. Comme d’habitude, je me retrouve toute seule. Je me pose un millier de questions. Est-ce qu’ils se souviennent que je suis là ? Non, parce que j’ai dormi tout le temps, j’ai pas fait de bruit, et j’ai même pas joué avec ma bouche. Au bout d’un moment, ils pourraient oublier que je suis là ! Est-ce que je vais rester ici encore longtemps longtemps ? Non, parce que j’aime bien le siège, mais je ne peux pas lever mes jambes, et quant à l’idée de tourner ma tête, j’ai vite oublié !
Ah voilà, je descends. Ah non, pas encore. Il y a Maman qui veut toujours m’enfiler mon bonnet alors que je suis encore bloquée sous toutes le bazar et que je peux pas bouger ma ma tête. Et là elle veut en plus m’enfiler la capuche de mon manteau ! Rien faire, je commence à râler, parce que c’est trop tout çà ! Changement de méthode. Papa m’emporte dans un tourbillon express. Oh là là, mais il y a beaucoup beaucoup d’air ici ! C’était peut-être pas une si mauvaise idée de mettre la capuche ! J’ai la tête dans le cou de Papa soudain. Il me cache. Il me chuchote ma petite puce. Oh j’aime bien quand il fait çà ! Et puis là où il me met, ça sent bon !!! Et c’est tout bizarre. C’est pas doux comme Maman, mais c’est plutôt rigolo. Çà me donne envie de dormir, de rester juste là au creux de sa nuque. Ça me donnerait presque envie de dormir. Quand il marche ça fait des bruits rigolos, des scrouitch sur les graviers, des scroutch sur les feuilles. Il marche pas vraiment droit dis-donc ! Il me crie dans les oreilles alors qu’un grand chien vient de renifler un morceau de mon mollet. J’ai juste eu le temps d’apercevoir un bout de son museau avant que Papa le fasse fuir. Et voilà que quelques secondes plus tard, je suis à l’abri.
Il y a plein de monde autour de moi, des visages qui me regardent avec des yeux brillants et des sourires mielleux. Ils me disent quelque-chose mais je suis pas sûre. Ils se rapprochent de moi, me font des bisous. Je vois plus rien à part leurs deux visages. Ils disent qu’ils sont Papy et Mamy et que je vais prendre un peu le bon air de la campagne avec eux. Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle est où Maman ? Il est où Papa ? Et on est où là ?? Il est où mon lit ? Et ma poupée ? Et ma peluche ? Oh, non, ça va recommencer. Depuis plusieurs jours, y a rien à faire, je sens comme un truc horrible qui me monte dans la poitrine quand je vois plus ni Maman, ni Papa. Je veux retourner dans la nuque de Papa encore un peu… Mais il est loin soudain. Je suis perdue, complètement perdue. Oh Maman. Oh Papa….
Mes lèvres commencent à trembler, et j’ai envie de faire mon sourire à l’envers. Bientôt les larmes viendront tout mélanger. Ah voilà que je m’envole dans des bras que je connais bien. Oh je retrouve l’odeur de Papa, ça me calme un peu. Et petit à petit, tout s’éclaire. Je vois les visages tout joyeux et gentil de loin, et oui, je me souviens je crois. Papy et Mamy. Je vais bien les observer de loin, noter toutes les petites choses de leur visage, et bien fixer leur regard. C’est là qu’on voit le plus de choses : les yeux. Et puis, je vais profiter encore un peu des bras de Papa. Après, si je me souviens bien, j’aurai pleins de câlins, de bisous, et de petites attentions de ces deux-là. Je serai une petite princesse…