Le champ avait été colonisé par les nappes à carreaux et les plaids décolorés, sur lesquels on avait déposé des bibelots de tout genre, des jouets d’un autre temps, et des livres jaunis par le temps. C’était une des premières foire-à-tout de l’année.
Le vent venait emmêler nos cheveux dans de soudaines envolées d’humeur. Les gens remontaient les fermetures de leur gilet ou s’enveloppaient dans des écharpes de fortune. C’était une journée de printemps fraîche. Une de ces journées que l’on croit prise en otage par un hiver récalcitrant.
Il n’avait pas plu depuis quelques jours. Les herbes étaient hautes. Au milieu des passants au regard perdu, il y avait cette petite fille. Elle se déplaçait dans l’espace comme si rien n’avait vraiment de prise sur elle. Un fin gilet rose pâle sur les bras, une robe blanche, et des socquettes remontées sur les mollets. Elle était d’une blondeur scandinave. Ses longs cheveux venaient souvent s’échouer sur son visage, cachant ses grands yeux clairs. Elle plaquait alors une main sur sa joue pour les repousser à l’aveugle derrière ses oreilles.
Autour d’elle virevoltaient des enfants de tout âge, s’accrochant, se bousculant, et s’effondrant dans l’herbe dans de grands éclats de rire. Parfois, certains agrippaient sa robe, dans un geste mal maîtrisé, une chute mal amorcée. Alors, elle vacillait, se laissant emporter dans un élan qui la dépassait, et tombait à genoux. Elle se relevait les lèvres pincées, et le regard sombre. Sans un mot, elle prenait une grande inspiration avant de plaquer une main sur son visage pour écarter quelques mèches.
Avec ses gestes de coton, elle évoluait à une autre vitesse. Son monde était une autre dimension. Elle reprenait sa place près de sa poupée, abandonnée dans l’herbe. Elle la prenait dans ses bras et plongeait son regard dans le sien en passant une main dans ses cheveux bruns. Elle restait ainsi de longues minutes silencieuses, à observer chacune des parties de son visage, avant de déposer un baiser d’une tendresse infinie sur son front. Elle lui souriait. Parfois, ses lèvres remuaient un flot de mots incompréhensibles déposés dans un souffle au creux son l’oreille. C’était un chuchotement.
Elle mimait le changement d’une couche après avoir déposé délicatement sa poupée sur une couverture. Elle remontait ses jambes vers elle pour lui faire un massage de la plante des pieds, ou déposer un baiser au creux du talon. Chacun de ses gestes semblaient ceux d’une autre.
Il y avait de l’amour dans le regard de cette petite fille. De l’amour, et une émotion infinie.
Il y avait de la magie.
Quel âge avait-elle ? 5 ans. Peut-être 6.
L’âge des premières histoires.
marie kléber says
Peut-être qu’un jour ce sera son tour d’en écrire de ces histoires, qui transportent dans une autre dimension, qui font rêver et donnent des ailes…Merci pour cette parenthèse bucolique.