Encore un matin où elle déjeune seule. Un de plus où elle pose son bol de café et découpe ses tartines dans la pénombre, sans personne en face. La radio diffuse les informations et leurs bribes habituelles, leurs projections alarmistes et leurs critiques acerbes sur tout. Sur rien si on fait bien attention. Une tartine dans une main, prête à plonger dans le bol de café, Isabelle laisse son regard divaguer, s’accrocher aux photos accrochées au mur blanc qui lui fait face. Ses enfants vivent maintenant leur vie. L’un à Barcelone et l’autre à Paris. Des garçons, qui malgré la distance, restent bien accrochés à leur mère. Leurs appels et leurs conversations Skype rythment son quotidien, avec les apéros entre copines et les séances de natation qu’elle s’astreint deux fois par semaine.
Et pourtant, ce mercredi matin, une évidence lui saute aux yeux : sa vie est vide. Gangrénée par une solitude fourbe. Isabelle est entrée dans un mécanisme quotidien et répétitif où son seul compagnon est le silence. Il s’invite à table, sous la douche et sous les draps. Personne à prévenir quand elle rentre tard, personne auprès de qui en rajouter quand elle a trop bu, personne à consulter avant de choisir ses prochaines vacances. La solitude comme une prison dans laquelle elle s’est laissée enfermée.
Au bureau, elle ne retient rien de la réunion hebdomadaire. Les chiffres s’étalent sur le mur saumon de la salle, mais elle, ne voit que les alliances aux mains des cadres de la société, les pierres qui s’affichent sur les mains manucurées de ses collègues. Les voix s’exclament et se répondent, mais Isabelle n’entend que le signal plat de sa vie. Un bip long et continu.
A la clôture, alors que tous se retrouvent autour d’une tasse de café, Isabelle s’éclipse aux toilettes. Les deux mains posées sur le rebord du lave-mains, elle se fait face. Elle a 45 ans et ça se voit… Ses cheveux châtain lui tombent sur les épaules, donnant à son visage un air triste et fatigué. Ses yeux verts sont soulignés par des cernes qui plombent son regard. Ses pommettes si fières, sont camouflées sous une poudre bas de gamme. Plutôt moyen tout ça…
Il est temps de faire table rase de cette tristesse qui semble avoir imprégné son visage sans qu’elle ne s’en rende compte. Il est temps de se lancer un nouveau défi. Elle pense déjà au plaisir de glisser sa tête entre les mains d’un professionnel et lui glisser « Faites ce qui vous semble le mieux ! ». Ce sera cette semaine.
Dans l’open-space, elle se fraie un passage au milieu des stagiaires pour atteindre son bureau. Par chance, elle fait dos à la fenêtre. Elle peut donc faire ce que bon lui semble sur son Mac sans risque d’attiser les langues commères de l’étage. Elle se saisit de son sac, y retourne tout ce qu’il y a dedans, avant d’en ressortir tel un trésor, un bout de papier jauni et aux bords noircis, plié en quatre.
L’écriture en script de Vanessa s’affichait au milieu des pliures de poussières. Elle la vit instannément lui faire un clin d’oeil à la lecture de sa petite phrase Ce sont nos choix qui façonnent notre destin…, suivi de l’adresse du site, Parship.fr.
Elle revoit encore son sourire lumineux quand elle lui avait dit qu’elle avait enfin fait une vraie rencontre grâce à Internet. A l’époque, elle avait ri, s’appuyant sur sa liberté de mouvement et de pensée, dont elle était si fière. Elle lui avait alors noté le nom du site sur un papier, et lui avait tendu avec un clin d’œil. Elle l’avait gardé depuis… Il fait bien avouer que depuis, Vanessa respirait le bonheur et qu’elle faisait du surplace… Elle s’assied sur son siège, remonte ses cheveux dans un chignon qu’elle attache avec un crayon de papier. Quelques clics, une petite dose d’inspiration bienvenue, et la voilà inscrite. Une folie spontanée qui lui fait monter immédiatement le feu aux joues. Ses émotions sont tiraillées entre une angoisse inconsidérée et une certaine satisfaction. Qu’a-t-elle à perdre au fond ? Le premier pas est fait, reste à attendre la suite…
Marie Kléber says
Il suffit parfois d’oser, de faire le premier pas vers une nouvelle vie…
Très beau texte encore une fois. Ta plume m’enchante toujours autant