Tout a commencé en Mars. Mars en hiver. Beau, brut, froid. Un mois de Mars sur un bout du monde. Sur les terres des volcans et des glaciers. Au cœur des lumières caressées de pastels et d’aquarelles. Tout a commencé en Islande.
Arrivés comme deux amoureux, ils ont foulé les terres noires de cendre, effleuré la tôle joyeuse des maisons, goûté à l’essence même d’un autre monde. Guidés par les elfes, ils sont passés au-delà des tempêtes de neige pour se perdre dans des paysages de glace. Seuls avec peut-être quelques trolls, à l’abri des foules, loin de cet autre monde bruyant et épuisant qu’est leur quotidien, ils ont tout envoyé valser pour ne plus vivre que l’instant présent.
Les mains gantées de laine, les têtes couvertes de bonnets épais, ils ne se séparaient plus du sourire collé sur leur visage. Elle glissait ses pas dans les siens laissant une succession d’empreintes dans la neige. Il glissait sa main dans la sienne pour sentir sa peau au-delà du tissu. Doigts entremêlés, corps entrelacés, cœurs serrés, toute la magie du monde réunie en ces quelques jours sur une terre du bout du monde.
Et puis, il leur a fallu revenir. Il leur a fallu embarquer à bord d’un avion, traverser les mers, voler au-dessus de l’Angleterre, apercevoir l’Ecosse sous les nuages et se dire que ce sera peut-être l’un de leurs prochains voyages. Atterrir sur le continent, gris, fade, où l’air laisse un goût un peu âcre dans la bouche. Il leur a fallu traîner la valise, ranger les mitaines et les bottes fourrées. Bien sûr, ils se sont cognés aux autres, ceux qui s’éparpillent, ceux qui crient, ceux qui rient aux éclats. Gorges serrées, tripes nouées, cœurs tremblants, ils se sont glissés dans leurs habitudes, ils ont repris le chemin de leur vie. Petit à petit, les bonheurs simples ont retrouvé leur place, les rires se sont projetés contre les murs de leur maison, ricochant sur les photos de voyage accrochées aux murs. Des sourires et des moments volés, figés, dont l’essence restera pour toujours entre eux. Des souvenirs d’instants suspendus.
Le printemps s’est éveillé. Elle a glissé ses pas dans les siens sous le soleil de Normandie. Leurs empreintes se sont inscrites dans le sable, dans l’herbe fraîche, dans la terre humide. Le soleil a commencé à se lever un peu plus tôt, poussant les frontières du temps jour après jour. Le ciel s’est égayé, les soirées se sont réchauffées.
Puis est arrivé ce soir de mars. Le sourire figé sur les lèvres lui donnait du rose aux joues. Elle portait un t-shirt informe acheté dans la journée. Affreux peut-être bien, mais elle n’en avait que faire. Quelques heures avant, elle avait filé au centre commercial, le cœur battant à tout rompre, trouver le premier t-shirt à sa taille, blanc de préférence. Puis, revenue dans son salon, elle a envoyé valser le sac plastique qui renfermait le précieux trésor et avait récupéré des feutres au fond d’un tiroir. Décapuchonnés, elle les a testés sur le ticket de caisse qui s’était retrouvé sur la table. En silence, elle a remercié le sort qu’ils n’aient pas séché. Sous ses doigts, le t-shirt blanc se trouvait trafiqué, dénaturé. Le résultat n’était pas flamboyant mais peu importait, il était clair, limpide. Elle avait envie de hurler, envie de rire et de pleurer. Mais elle a attendu. Quelques minutes qui ont paru une éternité.
Le soleil à peine couché, elle est montée toquer à la porte de son bureau. Elle s’est ouverte dans un grincement familier, et Maxime s’est retourné vers elle. Les doutes le tenaillaient depuis quelques jours. Sarah ne supportait plus rien, et passait la plupart de son temps enfermée dans les toilettes, la tête dans la cuvette. Surtout ne pas espérer, surtout ne pas s’emballer, mais il n’avait pas pu résister à l’appel du « peut-être ». C’est lui qui lui a suggéré l’idée que peut-être cette fois était la bonne. Alors il a plongé ses yeux dans les siens. Ses yeux brillaient d’une lumière qu’il ne lui connaissait que rarement. Elle était belle, radieuse avec ses joues rosies et son sourire lumineux et franc. En une seconde, il a glissé ses yeux de son visage à ce t-shirt bariolé. Alors elle a ri. Un rire nerveux, retenu. Lui ne savait plus comment se lever de sa chaise, ni comment former les mots pour qu’ils sortent de sa bouche. Ils avaient eu raison d’y croire. Elle s’est approchée de lui, il a glissé sa main dans la sienne. Sourire commençait à lui donnait des crampes aux joues, mais peu importait. Doucement, elle a porté sa main sur son ventre.
L’espoir nourri des mois durant avait trouvé refuge dans les terres froides de l’Islande. Qui sait si les trolls, en voyant passer ce couple d’amoureux, en entendant leurs murmures dans ce bain bouillonnant perdu au milieu des plaines volcaniques, n’ont pas soufflé sur eux un peu de leur poudre magique…
Sarah et Maxime allaient devenir parents. L’aventure, la vraie, allait commencer.
Les mois se sont succédé. Les émotions se sont relayées. La joie d’abord, mêlée aux craintes du premier trimestre. Le ventre qui s’arrondit au fil du deuxième trimestre, l’idée que leur vie va basculer dans une toute nouvelle dimension occupe leur esprit. Les prénoms devenus sujet de conversation récurrent, un choix réel et concret loin des jeux qui animaient parfois leur regard quand tout cela n’était qu’une idée. Fille ou garçon, ils décident de sceller le secret jusqu’à la naissance.
Et puis, les médecins, les blouses blanches et les mots acerbes et froids sont venus semer le doute. Le poids qui ne progresse pas. Les échographies qui deviennent des rendez-vous attendus, redoutés. Les jours qui défilent au ralenti. L’esprit qui s’accroche, malgré lui, aux pires scénarios. L’insouciance qui fait ses bagages et quitte leur quotidien du jour au lendemain. L’angoisse qui s’infiltre dans tous les pores de la peau. La peur qu’ils essaient de chasser à grands coups de films à la guimauve et de chocolat, de caresses et de mots doux.
Mais le temps avance. Le soleil quitte peu à peu la terre, les jours raccourcissent. Les semaines défilent et bientôt les dates critiques passent. Main dans la main, ils se retournent un jour, pour voir qu’elles sont toutes derrière eux. Le bébé toujours à l’abri au creux du ventre donne des coups de plus en plus forts. Sarah fatigue mais sourit de tant de vivacité quand les blouses blanches leur chuchotaient des mots terrifiants.
Et alors que les esprits s’échauffaient à l’approche de la date du terme, c’est un Lundi que le secret le plus gardé s’est révélé au grand jour. Le 24 novembre, dans la pénombre d’une fin de journée, vers 18h40, Léandre est né. Le temps a changé de couleur, le monde est passé dans une autre dimension. Léandre est né. A nouveau ils tombaient amoureux.
Nolwenn says
J’adore, j’adhère j’aime ton texte. Il est tellement délicat.
Marie Kléber says
J’en suis encore toute retournée. Ton histoire mériterait d’être un tout petit peu développée pour être publiée. Bravo. J’ai l’impression que tu t’es complètement laissée allée sur ce texte, que tu as lâché prise.
FleurDeMenthe says
Merci Marie pour ce commentaire constructif 😉 Je crois que cette histoire est différente parce que je l’ai écrite pour des amis… Mais c’est vrai que j’y ai passé énormément de temps…