Il est grand, blond, un peu frêle. Ses cheveux sont coupés courts, il porte sa sacoche en bandoulière. Les traits encore enfantins de son visage tranchent avec une voix grave et franche. La trentaine à peine entamée, la bague au doigt à peine enfilée. Il circule dans les couloirs, le pas un peu raide, le regard un peu songeur. Voilà quelle sera sa nouvelle vie, son nouveau quotidien : un bureau dans une agence au plein cœur de Paris. Enfin, il quitte le morne horizon de sa campagne auvergnate. Fini les week-ends trop courts, mangés par les allers retours en train. Le voilà tel un chevalier qui vient auprès de sa belle. Un aventurier à l’attaque de la capitale, des étoiles plein les yeux, avide de découvrir les richesses de la ville lumière.
Je le regarde, d’un regard terne. Je lui tends la main, bégayant un « bienvenue à Paris », une esquisse de sourire sur les lèvres. Il est plein d’espoir et de confiance alors que je me sens en équilibre sur un fil. Des immeubles haussmanniens, il ne voit que le prestige et la beauté. Je n’y vois plus qu’une barrière à la lumière.
Dans la foule des trottoirs, dans le bruit des boulevards, il s’enthousiasme de sentir vibrer le pouls de la capitale au creux de ses mains. Je serre les dents de voir esquiver les anonymes de la rue, me mords les lèvres à chaque coup d’épaule
Les pieds dans le béton depuis 7 ans, ma peau s’effrite, mon teint se grise. L’odeur de la poussière et des pots d’échappements envahit mes narines et souille mes cheveux. Le bruit de la ville pompe mon énergie. La foule avale tout mon espace vital. Mon âme s’enfume. Le temps s’évapore comme neige au soleil, bousculé de tous les côtés.
Je rêve de ciels gris et d’herbes folles. Je rêve de fumiers frais et de routes cabossées. Je rêve du bruit des arbres qui craquent et de boue qui engloutit mes chaussures. Je rêve du vent et de la pluie.
La Normandie se rappelle à moi. Les années ont passé, et l’adaptation s’est faite. L’adaptation d’un rond dans un carré. J’ai vu les avantages culturels, j’y ai goûté parce que c’était à ma portée. Arrive un jour où le costume est trop lourd. Arrive un jour où l’avenir nous semble ailleurs. Les ronces envahissent le passage des jours, et l’écart entre l’espérance du vent et le quotidien dans les souterrains écorche ma peau.
Paradoxe de vies qui s’entrecroisent, des regards qui s’échangent à la croisée des chemins, des destins qui s’opposent.
Corinne (Couleur Café) says
Joli texte !
petite yaye says
très beau texte. ça va rappeler des souvenirs à beaucoup… dont moi !
Marie Kléber says
Ton texte fait écho à mon ressenti du moment.
Nous abordons tous Paris differemment. Pour celui qui découvre la ville pour la première fois, c’est magique. Pour ceux qui y vivent depuis très / trop longtemps, c’est parfois douloureux.