Je m’étais dit que je n’écrirais rien, que je ne publierais rien, que je ne changerais pas ma photo de profil, que je ne laisserais pas mes émotions être aspirées par le flux infini d’Internet. Je m’étais dit que les événements pourraient me traverser sans me toucher au coeur, sans blesser mon âme. Tel est le pouvoir extraordinaire de l’esprit, capable de bloquer l’information parce qu’elle est trop douloureuse, trop incroyable, trop difficile.
La nouvelle m’est parvenue alors que je m’endormais devant la télévision. Hébétée devant les images des chaînes d’information, en attente de nouvelles, d’explications, avec l’espoir que peut-être le compteur des morts cesse de grimper, j’ai finalement laissé la raison me gagner, et rejoint mon lit vers 2h du matin. Dans les bras de l’amoureux sain et sauf, avec l’odeur de ma fille sur la peau, les larmes sont arrivées et ont roulé sur mes joues pour s’échouer sur un oreiller trop plat. Les sanglots étouffés dans la gorge et des images plein la tête, j’ai fini par m’endormir.
Il y a eu cette seconde magique, à mon réveil, où je crois que j’ai fait un cauchemar. Cette seconde magique de répit que m’offre mon esprit, une bouffée d’oxygène dans un sac en plastique. Entre sommeil et réalité, quand on cherche à se repérer dans l’espace, quand le regard se fixe sur le téléphone abandonné sur le sol.
La connexion au service prend une seconde de plus, pendant laquelle on se souvient. S’ensuivent les messages qui fusent, les inquiétudes des proches, la sonnerie qui retentit, les voix graves, les émotions retenues. L’horreur revient, aussi lourde qu’insurmontable. Elle va jusqu’à me tordre les tripes, me donner la nausée, me couper la respiration.
J’allume la radio, j’écoute les informations de la nuit déclarées par la voix émue de Wendy Bouchard. Suivent les témoignages qui s’accompagnent malgré moi d’images sorties de mon imagination. Je vois tout, je sens tous. Je vis les souvenirs des rescapés, glaçants.
C’est alors que je choisis d’éteindre, de couper le lien, de fermer les yeux jusqu’à un jour meilleur. Je veux revenir à hier matin, je veux me fâcher contre ma belle-mère, je veux m’agacer devant ce jus d’abricot au goût étrange, je veux soupirer devant la couche explosée de ma fille.
Je joue avec ma fille, je m’extasie devant ses sourires, je caresse sa peau si parfaite. Son regard bleu acier croise le mien, et je flanche à demi, m’excusant presque de ce monde qui s’offre à elle avant de reprendre espoir. L’espoir qu’il sera un jour meilleur.
La distance s’installe, les informations me parviennent dans un film que je m’imagine. Je réussis à éloigner la réalité toute la journée, jusqu’au soir, jusqu’à ce soir. Devant cette télécommande qui ne demande qu’à être saisie, devant les chaînes d’informations qui semblent se multiplier à l’écran, devant ces nouveaux témoignages, devant ces inconnus à la recherche de leurs proches, devant les mots insupportables de « guerre », la fine pellicule de protection s’est fissurée.
Les sanglots m’ont échappé, les robinets ont dérouillé, les larmes ont creusé mes joues, la réalité m’a engloutie, j’ai craqué.
Alors pour exorciser cette peine, pour me libérer de cette souffrance, de ces émotions qui m’envahissent à l’évocation de ces victimes, il me faut écrire.
Comment croire ? Comment croire qu’un vendredi soir, des anonymes, dehors pour fêter le meilleur jour de la semaine, ont été pris pour cibles.
Comment croire que 129 inconnus ont pris, sans le savoir, leur dernier petit déjeuner le matin même, souriant à l’idée que l’on était le dernier jour de la semaine ? Comment croire que plus de 400 personnes ont vu dans la soirée leur avenir se recouvrir d’un voile noir, dans un seul et même souffle, celui de la terreur et de la folie ?
Comment croire tout çà ?
J’ai mal au ventre, j’ai mal au coeur, j’ai mal à ma France.
Pourra-t-on jamais retrouver un quotidien aussi léger qu’ennuyeux, aussi habituel que rassurant ? Les attentats sont-ils en passe de devenir un risque journalier, une info donnée en 3 minutes au journal télévisé ?
J’ai peur, mais la peur rend faible. Pour la vie, pour la joie, pour notre fille, pour l’amour, pour l’avenir, il nous faut nous relever.
Nous sommes le 14 Novembre 2015, il est 21h, et des centaines de familles pleurent leurs proches. 129 morts et 353 blessés. Toutes mes pensées vont vers eux.
Lorelei says
je n’ai rien à rajouter…
moi aussi je suis montée me coucher à 2h du matin et j’ai pleuré dans les bras de mon amoureux dans le noir….
moi aussi j’ai pensé à mes enfants et me suis sentie coupable de les avoir amenés dans ce monde de fou….
gros bisous
marie kléber says
Je crois qu’écrire nous aide, nous libère d’un poids trop lourd.
Ma première pensée a été pour toutes ces innocentes victimes, leurs proches. Et puis j’ai pensé à mon fils, à nos enfants,;à ce monde dans lequel nous vivons, glaçant.
Affectueuses pensées ma belle.