Le jour où on a réservé ce week-end à Lisbonne, c’était en hiver, il faisait froid, et j’étais emmitouflée dans une couverture polaire. Ce jour-là, seul comptait le bonheur de prévoir ce premier voyage tous les trois. Nous étions tellement reconnaissants de la chance que nous avions de pouvoir le faire en plein coeur du printemps que nous n’avons pas pensé que les dates correspondaient au week-end du second tour des élections présidentielles. La date des élections a surgi dans mon esprit alors que nous venions à peine de fermer l’onglet EasyVoyage.
Il faut que vous compreniez que j’ai un côté politisé qui a toujours été présent, et qui a tendance à s’accentuer avec l’âge. Peut-être que lorsque j’aurai atteint un âge que l’on ne dira plus, que mes souvenirs seront si nombreux qu’ils s’entasseront dans un grenier sans que je puisse les extirper un à un, qui sait si à cette époque lointaine vous ne verrez pas ma tête défendre bec et ongles mes idées dans vos écrans nouvelle génération ?
Le soir du premier tour, j’étais dans la pizzeria du coin de la rue. J’attendais que ma pizza soit prête, pour remonter à l’appartement quand les résultats sont apparus sur leur écran de télévision. Dans les yeux il y avait de la colère. Chacun avait la sienne, une flamme qui brûlait. Intense, fougueuse, vivace, n’attendant qu’à être alimentée par un vent de face. Il y a eu des mots durs, des mots forts, et des larmes retenues de voir tant de mal-être dans ce si beau pays auquel nous appartenons tous. La tension du pays s’est ensuite accentuée un peu plus chaque jour. Les discussions de bureau se transformaient en bataille d’idées et en portes qui claquent.
Et alors que j’avais opté pour une procuration, le week-end du second tour est arrivé. Je craignais de laisser évacuer tout mon stress dans une attitude que je ne maîtriserais pas. Je craignais de gâcher ces quelques jours tous les trois par toute cette angoisse accumulée. Je craignais que les heures passant, le stress atteigne son apogée jusqu’à me rendre malade.
Mais c’était sans compter sur la force de l’amour. C’est la sérénité qui m’a gagnée dès le matin du départ. Tous les trois assis à l’arrière du taxi, et malgré ma veste oubliée sur la chaise de l’entrée, malgré la pluie qui tombait, malgré mon sac bien léger pour quatre jours, j’étais heureuse. Rose était assise sur les genoux de son père, la ceinture de sécurité la calant contre son buste, et regardait les voitures passer sous la pluie. Nous embarquions dans quelques heures pour Lisbonne, et main dans la main, nous avons souri.
Le trajet en avion a été agité, avec une petite fée qui n’arrivait pas à dormir et qui ne cessait de gigoter sur nos genoux, de jouer avec le store de l’hublot, ou de pleurer. C’est une fois que nous avons atterri qu’elle s’est endormi comme une masse dans les bras de son père.
Lisbonne nous a accueillis, tout sourire, le soleil haut dans le ciel. Nos peaux ne demandaient qu’à être découvertes, avides de rencontrer ce climat que l’on avait presque oublié.
Rose s’est laissé aller à courir sur les pavés, ravie de pouvoir enfin bouger. Elle a rencontré son ombre pour la première fois sur la Praça do Comércio , entre crainte et curiosité. Nous sommes nourris quasi exclusivement de pasteis de nata , les meilleurs de tous étant sans hésiter les pasteis de belem. Nous avons monté des ruelles jusqu’à en avoir des crampes. La petite fée étant encore assez petite pour être portée dans le porte-bébé, nous avons au moins pu se relayer tout en préservant nos dos. Elle était avide découvrir les endroits où nous l’emmenions, le regard toujours à l’affût derrière ses lunettes de soleil. Le sourire toujours au rendez-vous, et sa main jamais loin de celle de son père, elle laissait éclater sa joie d’être libre et avec nous.

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Et c’est après un dimanche fait de kilomètres de marche, de pause devant la tour de Belem , de gourmandises et de jus d’oranges à la paille, que nous nous sommes installés dans notre appartement, les yeux rivés sur TV5 Monde. Les minutes défilaient, et Rose se baladait en couche dans l’appartement, ne se lassant pas de faire des pas de mammouth sur le parquet pour le faire résonner. Dans l’après-midi, le vendeur de sandwich nous avait regardés, repérant les français que nous étions à notre accent. Il nous avait fait un clin d’oeil avant de nous dire qu’il croisait les doigts pour les résultats. Enfin, on touchait à la fin de cette maudite période électorale.
Et c’est là que le stress s’est enfin échappé. Fini. J’ai versé quelques larmes. J’étais fière d’être arrivée jusqu’à ce soir sans avoir trop intoxiqué mon entourage. Heureuse de ne pas avoir gâché ces précieux moments en famille. Le plaisir d’avoir profité de chaque instant, d’être là ensemble, et de voir un peu d’espoir se réveiller pour l’avenir, a tout effacé.
Un peu de dépaysement permet parfois de prendre du recul et de changer de perspective! En tout cas Lisbonne est une très jolie ville, assez inimitable et définitivement photogénique!