Ah, la haute couture ! Ses défilés, son strass, ses paillettes, ses mannequins sublimes… mais aussi les filles anorexiques, la tendance à la débauche, les modèles influençables et les photographes pas vraiment modèles. Dans le documentaire pamphlet qui devrait sortir 20 octobre Picture Me, Sara Ziff, ex-top model et coréalisatrice, dévoile cet “enfer du décor”. Qui ne l’a pas pour autant dégoûtée de la mode.
Si vous êtes grande, mince, et plutôt agréable à regarder, voire encore plus belle quand vous ne souriez pas, et si vous ne savez pas assez bien chanter pour “Nouvelle Star”, peut-être vous êtes-vous dit un jour : « Tiens, et si je tentais une carrière de mannequin ? » Une idée comme une autre, tant la célébrité et l’argent vite gagné s’affichent aujourd’hui à longueur de couvertures de magazines. Pourtant, détrompez-vous, mannequin n’est pas un métier facile. Passant d’un shooting à un défilé sans savoir de quoi demain sera fait, dormant seulement deux ou trois heures par jour dans des avions, le mannequin qui a le vent en poupe a bien souvent la tête dans le gaz ! Or, à la fatigue physique de ces jeunes femmes pressées comme des citrons par leurs agences, vient s’ajouter une fatigue psychologique due à la déshumanisation dont elles font l’objet, comme le souligne Sara Ziff : « Ce n’est pas vraiment vous que les gens regardent. Votre boulot, c’est de porter des habits et de n’être qu’un corps. Parfois, certains font même des
commentaires devant vous comme si vous n’existiez pas, du genre : « Oh, ses fesses sont trop grosses, là, regarde ! » Et cela vous affecte, forcément. ».
On a beaucoup dénoncé ces dernières années le diktat de l’extrême minceur qui a engendré bien des excès, et même provoqué le décès de jeunes femmes anorexiques. Il est vrai que, pour que le vêtement standard de haute couture tombe naturellement bien, il faut être grande et mince, et que, comme le confirme Sara Ziff, « la seule façon aujourd’hui d’être un modèle à succès, c’est d’être très, très, très mince, ce qui n’est pas une chose naturelle pour la plupart d’entre elles. Ça leur met une pression très malsaine, et elles essaient de se maintenir ainsi au détriment de leur santé. » Pire, la concurrence acharnée ayant amené sur le marché des jeunes filles préadolescentes, les “vieilles” de 20 ans font tout pour rester en course alors que leur corps ne le leur permet tout simplement plus.
Dans un métier entièrement basé sur l’apparence et la beauté, les très jeunes filles sont de plus en plus présentes sur les podiums, sans que personne ne s’inquiète réellement de leur légitimité, comme l’explique Sara Ziff. « Certaines ont seulement 13 ou 14 ans. Le problème, c’est que vous ne voyez pas les enfants, mais juste une paire d’épaules qui porte des vêtements. » Est-il bien normal de demander à ces jeunes mineures d’adopter des poses sexy ? Ole Schell, coréalisateur de « Picture Me », se pose la question : « Si vous faites la même chose dans la rue avec des filles de cet âge, vous allez en prison. Si vous faites ça dans un dîner avec la fille de vos amis, le père vous tue. C’est comme si l’industrie de la mode n’était pas la vraie vie. »
Un monde de rêves, donc, qui se transforme parfois en vrai cauchemar pour certains mannequins lorsque des photographes ou des designers font plus que dépasser les limites. Des faits qui sont avérés, mais qui sont rarement dévoilés car l’omerta est de rigueur, comme le regrette Sara Ziff : « Le plus difficile, c’est d’amener les gens dans ce métier à se confier car la seule chose qu’ils ont, c’est leur image. Donc, tout ce qui les montre sous un aspect moins parfait est à éviter… De plus, les mannequins savent qu’elles sont jetables, et le fait est que les gens qui abusent d’elles sont souvent ceux-là même qui les engagent. » Précarité de l’emploi, harcèlement, régimes drastiques, le tableau de la vie de modèle dressé dans le film n’est pas vraiment top. Comme si s’offrir sa part de rêve dans cette industrie du glamour, sur laquelle le monde entier a les yeux rivés, avait un prix. Fort heureusement, il ne faut pas faire de ces constats une généralité, d’autant que grâce à ce genre de témoignages dérangeants, les choses ont tendance à évoluer. Par exemple, les mesures prises par l’Espagne imposent désormais des contrôles médicaux pour surveiller le poids des mannequins (même si beaucoup trichent en plombant leur soutien-gorge…), et les modèles commencent à se syndiquer pour bénéficier de salaires minimaux. Malgré tous les secrets d’alcôve découverts par Sara Ziff au cours de ses cinq années de mannequinat pour les plus grands couturiers, son amour de la mode reste intact : « La grande majorité de mon expérience a été positive. J’adore la mode, qui pour moi est comme un langage. De la même manière que les gens aiment la poésie, les gens peuvent aimer les beaux vêtements. C’est un formidable moyen d’expression ! » Bref, de la fashion à la fascination, il n’y a qu’un pas.