Le lycée accueillait nos rêveries, nos ambitions, et nos amours adolescentes. Le bus scolaire mettait en boîte nos sentiments, nos confessions, et nos brouhahas. Le plafond de notre chambre se faisait l’écho de nos questions, nos doutes, et nos espoirs. La vie nous déroulait son tapis rouge, nous offrant les choix qui nous mèneraient vers notre avenir. Casque sur les oreilles, lecteur CD dans la poche, nous écoutions les notes d’un r’n’b français entraînant. Sean Paul et Benni Benassi faisaient résonner les enceintes de nos premières soirées. Les Black Eyes Peas envahissaient nos écrans de télévision et je découvrais, assez fière, le métal version Linkin Park.
La ville nous appartenait. Aussi immense que l’était notre soif de vivre. Nous la parcourions à pied, se fichant des côtes ardues ou des chemins boueux. Elle se dévoilait sous nos yeux, au ralenti. Nous découvrions un parc là où d’autres ne voyaient qu’un muret. Nous voyions la couleur des chewing-gum écrasés sur le trottoir. Le temps s’écoulait au rythme des gouttes de pluie qui tombaient sur les vitres. Nos envies d’ailleurs trouvaient refuge dans les pâtures qui nous entouraient. Le bois appelait les plus téméraires, pour des minutes qui devenaient des heures. Comme d’autres, je passais mon temps à rêver du voisin de devant, griffonnant des initiales en série sur des morceaux de papier. Des sourires en coin naissaient sur nos visages, accompagnant le rouge qui nous montait aux joues. Nous riions sans cesse, et nous embrassions sans se soucier de lendemain.
A chaque sonnerie, le bruit des chaises résonnait dans les classes et le couloir était envahi en moins de dix secondes. Bousculades, tapes dans le dos, baiser sur la jour, et retrouvailles enflammées entre amoureux.
Et un jour, au milieu de la foule, le temps s’est arrêté. J’ai vu un garçon. Mes premières secondes d’éternité. Il avait des yeux bleus comme je n’en avais encore jamais vu. Alors que la foule se précipitait sur les monts de sacs à dos, je suis restée immobile, figée sur place. Il faisait une tête de plus que moi, portait une veste blanche et avait une sacoche en bandoulière. Il regardait au loin, comme s’il était à la recherche de quelqu’un. Et soudain, il a tourné la tête et a accéléré le pas. Il est passé à quelques centimètres de moi avant de disparaître dans la foule. J’ai continué mon chemin vers la salle de mathématiques du sous-sol, les jambes en coton, un sourire rêveur sur les lèvres.
Aujourd’hui, les papiers griffonnés sont au fond d’une boîte, emportée de déménagement en déménagement. Les musiques de l’époque résonnent parfois dans les enceintes de mon salon. Leurs notes étouffées par le bruit des années glissent sur de vieilles émotions avant de se perdre dans les airs. Mes baisers sont devenus plus exclusifs et mes rires plus confidentiels. Dans cette vie de famille que je ne pouvais pas imaginer, mes mains courent sur un clavier d’ordinateur, prêtes à raconter des histoires. Je dis bloguer, liker et instagramer : des mots qui n’auraient aucun sens pour l’adolescente que j’étais.
Je pense encore à ce garçon croisé entre deux cours. Je pense parfois à cette phrase de Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous ». Je pense à cette émotion qui m’a envahie et qui s’est répandue en moi en un instant. Je pense à ces quelques jours où je suis restée comme envoûtée. Je pense à ce temps d’inter-cours passé à le chercher en vain. Des amours contrariées sont venues envahir les dernières années du lycée. Au gré des hasards et des rendez-vous, l’université a pris le relais.
Je pense souvent à l’homme qu’il est devenu. Chaque matin, alors que le réveil sonne, je tourne la tête vers lui avant d’enfouir mon visage dans sa nuque.
Corinne (Couleur Café) says
Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous !! Je note, çà me parle !
Julie says
Une citation de plus à retenir !
marie kléber says
C’est magnifique, comme toujours. j’aime la manière dont tu évoques cette époque et ces tendres sentiments.
Julie says
Merci, ça me touche <3
Gustave says
Très belle plume bravo ! C’est toujours un plaisir de vous lire.
Julie says
Oh merci beaucoup !
Lili says
Ton texte m’a fait frissonner !
Julie says
c’est toujours agréable de lire que l’émotion a traversé l’écran 😉 Merci !
Camille says
Tu écris bien, et comme ce texte est touchant, émouvant…
Je me suis replongée des années en arrière, avec toi, et dans un plaisir certain.
C’est amusant de voir le chemin parcouru, de se regarder avec un oeil nouveau.
Merci pour ce partage 🙂
Julie says
Les souvenirs sont toujours à portée de nous 😉 Ecrire en s’inspirant du passé donne de la perspective 😉
swinging-bird says
C’est un très beau texte, très sensible, qui me parle beaucoup et me replonge quelques années en arrière… 🙂
Julie says
<3