Quelqu’un a frappé à la porte un matin de septembre. Je l’ai ouverte dans un geste brusque, caractéristique de celle qui ouvre par principe mais ne veut pas être dérangée. J’ai arrêté le poing du visiteur en l’air alors qu’il s’apprêtait à réitérer ses coups. A l’instant où mes yeux ont rencontré les siens, la poignée m’a glissé des mains. Ils étaient d’un brun profond qui évoquait un café noir et intense. L’atmosphère s’est chargée d’une électricité statique qui m’a figée dans une seconde. Une seconde d’éternité. Je crois qu’il a baissé le regard vers ce qui ressemblait à un registre avant de chuchoter quelque chose qui ressemblait vaguement à mon nom. Sa voix grave imprégnait l’atmosphère d’une insaisissable douceur, glissant jusqu’à mon oreille dans une sensualité exquise. J’ai dit oui dans un sursaut de lucidité. Trop franc, trop aigu. Un oui sorti sans une once de réflexion, tant mon mon esprit était occupé à graver à jamais les traits francs et nets du visage qui me faisait face. Un visage comme taillés dans la pierre. Il avait le teint froid de ceux qui n’aiment pas le soleil. Le grain de sa peau était aussi fin que les feuilles de papier calque qui jonchaient mon bureau. Ses cheveux noirs étaient en bataille, comme régulièrement parcourus d’un geste compulsif.
Il est entré. Il a traversé le palier de ma maison, d’un pas feutré et délicat, semblable à un danseur qui découvrirait une chorégraphie pour la première fois. Un sourire se dessinait sur son visage. Un sourire en coin, proche de celui qui cherche à excuser une bêtise, un dérangement impromptu, une gêne. Un silence régna, suspendu à la toile du temps. Je pouvais voir le rythme de son pouls saccader la peau du creux de sa nuque. Il avait une respiration calme et rassurante qui sifflait dans l’air comme une brise fraîche. Sa chemise blanche laissait entrevoir le gonflement de poitrine à chaque inspiration. Il a dit quelque chose que je n’ai pas compris. Je lui ai demandé de répéter. Alors il a ri. Un rire léger et retenu qui me mit le feu aux joues. J’ai senti un sourire s’élargir sur mon visage sans que je ne puisse m’y opposer.
Il a changé de posture pour me tendre une main libre. Une main à la peau diaphane. Ses doigts étaient délicats, l’idée me traversa qu’il devait être pianiste. Dans un réflexe de bonne conduite, j’ai glissé ma main dans la sienne. C’est là, au contact de nos peaux, que le temps qui semblait dressé autour de nous comme une cloche de verre, se brisa. Mes sens s’éparpillèrent en une fraction de seconde. Je vis son regard vaciller dans l’inconnu, l’incompréhension. Une goutte de sueur perla sur ma peau et je la senti glisser au creux de ma poitrine. Ses lèvres frémirent, saisies de ce que j’imaginais être un frisson. L’envie d’y poser mes doigts pour les rassurer, les caresser me saisit, mais ma main était coincée au fond de ma poche, serrant un mouchoir abandonné.
Brusquement, il retira sa main, et la passa machinalement dans les cheveux. Il bafouilla quelque chose d’incompréhensible. Des mots confus qui sonnaient à mon oreille comme un signal d’alarme. Un frisson m’envahit et je m’empressai de croiser mes bras pour me réchauffer. Je le vis passer le palier de la porte et s’éloigner de quelques mètres. Il partait. Ma voix se perdit dans l’atmosphère, cherchant fébrilement le chemin qui menait à lui.
« Restez… »
Il se figea sur les dalles de la terrasse. Mon regard s’attardait sur son dos, dessinant chacun des muscles de ses épaules qui se devinaient sous le coton de sa chemise.
Il se retourna, plongeant ses yeux noirs dans les miens. Sa pomme d’Adam déglutit alors que s’esquissait sur son visage un sourire authentique.
Le lien s’était tissé. Tout commençait.
Quelques Grammes de Glam says
Waouh … J’attends la suite avec impatience 🙂
Lavisionrauz says
Olalala j’en ai des frissons, ton texte fait passer tellement d’émotion, j’ai hâte de lire la suite! & je file m’abonner pour ne pas manquer cela!
Marie Kléber says
Je ne sais pas si ce texte appelle une suite. Mais son intensité me poursuit encore quelques heures après l’avoir lu. On se croirait dans la peau de cette femme sous le charme, osant, n’osant pas, cette femme comme hypnotisée par cette rencontre.
Magnifique, magique.
FleurDeMenthe says
Difficile de faire une suite… Je pense que l’imaginaire de chacun peut s’en créer une 😉 Après, je pensais peut-être écrire l’autre côté pour voir, celui du visiteur… Mais pas sûr
Audrey_tdp says
Coucou,
Quel beau texte baigné d’émotions !
Tu as le don d’inviter tes lecteurs dans la peau de ton personnage, cette femme.
J’ai imaginé chaque détail de cette scène, ressenti avec elle chaque instant…
J’en suis encore subjuguée, bravo.