Il est 8h du matin. Le jour perce les lourds rideaux blancs de la chambre. Il règne une atmosphère pâteuse et irréelle. Mon regard est brouillé, et mes idées brumeuses. A quelques mètres, les chiffres rouges s’affichent comme des signaux d’alarme. Un huit, deux zéros, et ces deux points qui clignotent au-milieu. Tac tac tac. Tac tac tac. Je pose deux doigts contre ma gorge, le sang afflue dans mes veines à un rythme quasi similaire. Huit, deux points, zéro un.
Et voilà qu’il remue. Sur l’oreiller d’à côté, son crâne rasé bouge et sa barbe se frotte aux draps blancs. Il grogne, se tortille, se retourne vers moi, et soudain, il ouvre les yeux. Lui. Moi. Tous les deux ici. Ici, où ? Une chambre d’hôtel ? L’hôtel, de l’alcool sans aucun doute, et la tête que j’ai perdue au détour d’une rue. Voilà les seules choses qui me viennent à l’esprit.
Je suis nue, et lui aussi. Il est clair qu’on a passé la nuit ensemble. J’ai mal à la tête, et le mascara a collé mes cils et coulé sous mes yeux. Ma peau me démange, et mes cheveux me tirent. Je ne sais pas quoi dire. Ma voix est comme envolée. Qu’est-ce je pourrais dire ? Comment, pourquoi, quand, quel jour… Je n’arrive pas à détourner les yeux des siens. La chambre est chargée d’une chaleur étouffante. La brume est omniprésente. Nos émotions nous étranglent. Les remords nous assaillent. Les questions nous submergent. Deux êtres tétanisés par le flou, l’oubli, la folie d’une nuit.
Soudain, il se tourne, et s’assoie sur le rebord du lit. Le drap vole, et je peux voir la naissance de ses fesses dans le bas du dos. Je culpabilise de m’y attarder. Il étouffe un juron dans son poing avant de se saisir de son téléphone. Le téléphone. Mais oui ! Je glisse sur le côté à la recherche de mon sac. Je n’ai presque plus mal à la tête, mais les larmes me montent aux yeux et viennent emprisonner ma gorge. Mon téléphone n’est pas là. Les poches, les trousses, le paquet de préservatifs. Des préservatifs ? Dans mon sac ? Mais quand ai-je acheté ça ? La veille au soir me paraît de plus en plus folle et improbable. Je jette la boîte par terre, avant de retourner mon sac et de le vider entièrement. Le désespoir m’envahit, et un sanglot m’échappe. De l’autre côté du lit, il me jette un regard au-dessus de son épaule. Des regrets, des excuses, de la compassion.
De mon côté, je bouillonne. Comment ai-je pu céder à une telle pulsion. Tout s’ébranle, tourne au ralenti. Le monde sonne à mes oreilles comme du verre brisé. Soudain, je le voie : mon téléphone est à côté de mes chaussures, pas loin d’une pile de vêtements qui semblent être ceux de la veille au bureau. Je me jette au bout du lit, comme s’il était la réponse que j’attendais. J’ai l’espoir d’y voir peut-être une explication, la source de tout ça. Un message d’Antoine, mon mari. Des mots improbables, une autre femme, un départ, des valises. J’imagine mille choses et mes doigts tremblent sur l’écran.
Mais rien. L’historique me renvoie même au dernier message que je lui ai envoyé. « Bisous. Je t’aime ».
Je ne l’ai pas appelé. Et lui, lui ne s’est pas inquiété. Il n’a pas cherché à me joindre. Il est 8h du matin. Je ne suis pas rentrée depuis plus de douze heures, et rien. Vite, il faut que je l’appelle, que j’entende sa voix enjouée et rassurante. Mais quoi lui dire ? Vite une idée, une histoire derrière laquelle cacher mon absence. J’imagine une sortie entre amies qui a un peu dérapé. Lily me couvrira, je peux dire que j’ai dormi chez elle. J’y crois presque. Je m’empresse de chercher son nom avant d’appuyer sur la touche verte. Mon coeur s’emballe, et ma gorge s’étrangle. J’essuie les larmes qui coulent sur mes joues avant de renifler bruyamment. Je suis prête. Mais le répondeur s’impose à moi comme un mur à un coureur de sprint.
Je m’assoie sur le lit, avec tout le poids de mes questions sur les épaules. Je me retourne, et regarde ses doigts s’agiter sur son écran. Lui s’est contenté d’un texto. Un texto infini. Soudain, il jette son téléphone sur les draps et s’échappe dans la salle de bains. Je soupire avant de regarder mon téléphone. Je me sens seule. Infiniment. Désespérément. Pourquoi mon appel aboutit-il sur son répondeur ? Il n’éteint jamais son téléphone. Jamais.
Vite, sortir d’ici, enfiler des vêtements, fuir.
Dans la rue, le monde semble tourner à l’envers. La rue agit sur moi comme un torrent. Les gens n’ont jamais parlé aussi fort de leur vie. Ils sont des dizaines à cogner mes épaules ou faire tomber mon sac.
Alors, on était là. A 100 mètres du bureau, peut-être même moins. Il me semblait qu’il y avait une caserne de pompiers derrière cette immense porte bleue. Je suis même sûre que c’était le cas il y a encore une semaine. Comment cet endroit a-t-il pu se transformer aussi rapidement en hôtel ?
Je reprends mon téléphone et saisis frénétiquement le numéro de téléphone de mon mari, comme si saisir les numéros un par un serait différent de l’appel automatique depuis le répertoire. Répondeur. Toujours sa voix, les mêmes mots, les mêmes intonations. Nous sommes vendredi, il est 8h du matin, il devrait être joignable ! Je sens l’inquiétude grandir et se répandre comme un poison. Mais où est-il ? Que s’est-il passé hier ?
Le soleil est haut dans le ciel. Je plisse les yeux et mets une main en visière. Le matin a légèrement accéléré sa course. Le boulevard accueille mes jambes de coton dans une bruyant bazar. Les bus, les voitures, les vélos et leurs klaxons agaçants. Je laisse mon regard attraper la silhouette sombre de l’immense tour en haut de la rue. Tous les jours, je crois qu’elle sera peut être un peu moins laide que la veille, mais tous les jours, elle me jette au visage son design grossier des années 80. Le soleil se reflète dans ses milliers de vitres fumées, sans en rendre une once de lumière. C’est comme si elle aspirait la lumière pour la garder pour elle.
Une ombre enveloppe le dernier étage. En une demi-seconde. Un nuage, peut-être. Je ne serais pas étonnée que le ciel nous envoie des trombes d’eau, par ce matin de juillet. Cette journée me paraît tellement étrange que j’ai presque envie de sourire. Mais voilà la tour désormais couverte à la moitié, puis entièrement. J’en ai des frissons. Je n’ai jamais vu un nuage aussi rapide et me demande où est le vent…
La rue devient soudain noire. Aussi sombre qu’en pleine nuit. Des images du film Independance Day surgissent dans mon esprit. C’est çà. C’est un vaisseau spatial. Depuis le temps que je dis que les extra-terrestres existent ! Je voudrais prendre des photos de cette immense boîte de sardines mais mon téléphone ne me répond plus. Il est resté bloqué sur l’affichage de l’heure. Huit, quatre, quatre.
Je suis en retard. Je traverse la rue en courant, évitant de peu une voiture qui roulait un peu trop vite, et passe la porte du bureau juste à temps. Juste à l’heure. Dans le hall, je l’aperçois. Il connaît bien l’art du faire semblant. Tout sourire, la main lancée dans trois poignées matinales fermes. Son regard croise le mien, et mes joues s’enflamment malgré moi. Il s’avance vers moi pour me faire une bise habituelle. Celle de tous les matins. Si ce n’est ce baiser un peu trop proche de mon oreille, son parfum qui se mélange à mes cheveux et le bruit de sa barbe sur ma peau. Des images brouillées se glissent dans mon esprit. L’envie de m’y abandonner me saisit, mais mon téléphone me ramène soudain au réel. Je le sens vibrer dans la poche de ma veste.
Enfin, Antoine me répond. Mon coeur se serre, mais je m’effondre à la vue de mon écran. Ce n’est que mon réveil me rappelant de prendre mes médicaments. Je la valide, avant de saisir à nouveau les 10 chiffres du portable d’Antoine. Mais à nouveau le répondeur.
Mais où peut-il bien être ?
Soudain, les notifications se succèdent, et tous les téléphones sonnent autour de moi. Derrière la vitre, les lumières jaunes se succèdent aux lumières oranges. Le bruit devient infernal. Je n’entends plus rien. Tout s’éteint. Antoine, où es-tu ?
Amandine says
Je n’ai pas de mots! Juste Que jai crue lire une page d’un livre damour, une belle histoire à l’eau de rose Mais où il me manquait des pages! Je ne sais pas si Cest ton histoire Mais cest à la fois beau, troublant voir perturbant! Cest à la fois beau et courageux… je tembrasse Cest Si Bien écrit vraiement…
Julie says
Merci ! C’est une histoire née d’un rêve que j’ai fait l’une des nuits dernières 😉
Amandine says
Cest La premiere Chose Que jai pensé Julie Mais Cest Si rare de s’en souvenir à ce point la preuve quil ta marqué! Tres beau vraiment j’en suis toute retournée
Julie says
J’avais juste quelques bribes, mais une fois lancée, l’histoire se construit au fur et à mesure. Je t’assure que je ne me souviens pas aussi bien de mon rêve haha, mais ce serait bien en effet 😉
Marie Kléber says
J’avoue que j’étais dans cette chambre, dans cette vie, dans cette peur, cette angoisse, dans cet instant. C’est vraiment superbe Julie. Comme quoi nos nuits chaotiques nous offrent parfois de bien belles choses!