Le matin et sa brume laissent flotter sur les visages une pellicule floue, donnant à chacun cet air hagard du début de journée. Des pas résonnent sous le préau de la gare, une femme se mord la joue, marquée par une trace d’oreiller qu’elle n’a pas su camoufler. Son regard s’égare, hésitant entre replonger dans une phase de sommeil éveillé ou s’activer dans les mots du livre aux pages cornées, enfoui au fond de son cabas.
La vie n’est-elle qu’un éternel recommencement ? Hier encore, n’avait-elle pas la même hésitation ? Ses pieds ne prennent-ils pas toujours le même chemin, chaque matin ? Elle pourrait se laisser porter par les habitudes, suivre la routine sans s’arrêter aux détails. Elle pourrait se frayer un semblant de vie au milieu des anonymes, ne pas voir les visages, ne pas croiser les regards. Elle pourrait se contenter de suivre sa route, sans se soucier de ce qui l’entoure.
Mais comment ne pas s’en soucier ? La vie est partout autour d’elle. Dans ces quelques mots emportés par le vent, des bribes échappées d’autres vies. Dans ces gestes mécaniques, ces ongles rongés, ces lèvres mordues, ces manies liées à d’autres pensées, dans ces quelques pas dansés par des inconnus qui foulent d’autres chemins.
Dans la foule, les regards s’accrochent aux mèches de ses cheveux comme le fait le pollen au printemps.
Chaque âme son histoire, chaque histoire son regard.
Des regards pressés qui ne laissent rien transparaître d’autre qu’une irritation incontrôlée.
Des regards suppliants et désemparés d’enfants qui semblent chercher une bouée de secours quelque part dans le monde de géants qui les entoure.
Les regards perdus et hagards des touristes qui s’égarent dans leur itinéraire.
Les regards fatigués et lassés du quotidien. L’âme avalée par les habitudes, bouffée par les obligations peut-être, détruites par les fatalités.
Des regards rougis, menaçant à tout moment de laisser s’évacuer un torrent. La lèvre est tremblante et le teint brouillé par les larmes qui ont déjà coulé. Ceux-là voudraient passer inaperçus, faire leur chemin cachés derrière leur tristesse.
Des regards pétillants et jovials diffusant un filet de bonheur autour d’eux.
Voir autre chose que des ombres de silhouettes. Voir la vie. Disparaître ou tendre la main.
sabine says
tendre la main 🙂 😉 …. et puis de toute façon c’est toujours mieux de marcher ensemble la main dans la main..
Marie Kléber says
Regarder l’autre plutôt que de passer son chemin.
Très joli texte qui donne envie de vivre encore plus intensément.