Fallait-il qu’elle attende d’être en couple pour entrer dans une boutique de lingerie ? Le havre de l’érotisme au quotidien ne serait-il réservé qu’aux seules femmes en quête d’un peu de piquant dans leur lit conjugal ?
Emilie passait tous les jours devant la même boutique Orcanta, en sortant de l’agence immobilière où elle travaillait. Depuis quelques semaines, les vitrines étaient occupées par les déshabillés en flanelle et coton, plus en accord avec le temps froid qui occupait le mois de décembre.
Elle s’arrêta en marge de l’entrée où elle pouvait apercevoir à l’intérieur, les pièces les plus fines et les plus délicates, que l’équipe du magasin choisissait de mettre en valeur sur des mannequins en plastique.
A dix jours de Noël, elle se décida à entrer, avec l’idée que ce premier pas dans les dentelles et la soie ne l’engageait à rien. La chaleur du magasin lui sauta à la gorge et elle s’empressa de retirer le bonnet qu’elle avait enfoncé jusqu’aux yeux. Elle croisa son visage dans le miroir qui occupait le fond du magasin, et accusa le coup. Son carré se révélait bien triste sous la lumière blafarde des spots. Emilie s’empressa d’y passer la main pour le réveiller. Il était tard, et son visage était fatigué par la journée et le givre qui encombrait l’atmosphère. Bien étrange de se voir ainsi, au milieu de tant de féminité, quand elle n’avait dans son tiroir que des reliques d’anciennes relations. Elle prit une grande inspiration et se fraya un chemin dans les rayons. Ce n’était pas maintenant qu’elle était entrée qu’elle allait reculer…
Sa main effleura les plus jolies pièces, prenant parfois d’une main tremblante un 95B ou un 38. Ses pas la menèrent jusqu’à un coin renfoncé de la boutique, où elle se retrouva au milieu des nuisettes en soie et des bodys en dentelle. Alors qu’elle admirait le détail du mélange des deux étoffes sur l’un des modèles, elle se mordit la lèvre. Cela avait-il un sens ? Jusqu’à preuve du contraire, elle était seule tous les soirs de la semaine, et même du mois. Une petite voix lui susurra que pour séduire, il faut déjà se sentir belle. Prise dans un élan, elle s’en empara, et, le feu aux joues, elle se dirigea d’un pas pressé vers les cabines d’essayage pour éviter, espérait-elle, que la vendeuse ne l’alpague. Au moment de fermer le rideau de la cabine, elle l’entendit lui lancer « Très joli modèle, mademoiselle ! », ce qui ne manqua pas de la mettre mal à l’aise.
Dans le miroir, la succession des ensembles lui révélait une toute nouvelle femme. La femme timide et réservée semblait s’évaporer au fur et à mesure qu’elle enchaînait les essayages. Lorsqu’elle passa la nuisette rose et noire sur sa peau de porcelaine, elle se mordit la lèvre avant d’oser un sourire à son reflet dans le miroir.
A la caisse, elle ne fit pas attention au nombre d’articles ni au prix annoncé, prise dans la frénésie d’avoir dépassé ses craintes. Elle jeta un œil aux articles emballés dans un délicat papier de soie par la vendeuse. Cet achat sonnait peut-être bien le début de quelque chose de nouveau.
Avant de passer la porte, elle enfonça à nouveau son bonnet jusqu’aux yeux, et enfila ses gants en laine. La gifle de froid qu’elle se prit une fois sur le trottoir eut le pouvoir de freiner son enthousiasme. Elle fit quelque pas, et s’arrêta, tenaillée par le doute. Prise d’une soudaine montée d’angoisse, elle posa son sac à ses pieds, et y chercha le ticket de caisse. Le montant total de 500 euros acheva de la convaincre. Elle se retourna alors dans un mouvement brusque et se retrouva instantanément freinée dans sa course par un passant.
Emilie leva la tête vers son visage, prête à s’excuser mais les mots restèrent coincés dans sa gorge quand elle le reconnut. Antoine. Aussitôt, le souvenir des trois mois passés avec lui à l’agence la saisit tout entière. Ses jambes la quittèrent mais elle eut le temps de se rattraper au mur qui bordait le trottoir. Antoine. Le seul qui avait réussi à bousculer son quotidien par sa seule présence. Le frôlement de sa peau dans les couloirs trop étroits. Son odeur qui se faufilait jusqu’à elle quand ils étaient dans la même pièce. Sa voix qui se glissait dans son oreille à chaque mot qu’il prononçait. Le courant électrique qui émanait de son corps. A son départ, elle avait eu la sensation qu’on la privait d’une partie d’elle, et voilà que des mois plus tard, ce soir, elle se fracassait contre lui.
Il y eut un flottement quelques secondes. Déstabilisée, elle plongea ses yeux dans le regard noir d’Antoine qui brisa l’instant :
« – Emilie ?! Putain, j’allais me lancer dans des insultes, t’as de la chance !! Si je m’attendais à toi… Tu regardes jamais où tu vas ?!..
– Euh, c’est que…
Le sac Orcanta, lourd de dessous affriolants, se rappela à son poignet, et la panique lui monta aux joues. Elle s’empressa ne le glisser dans son dos.
C’est que j’avais les courses de Noël à finir… Mais ça va bien, et toi ?
L’échange des banalités habituelles avait le don de lui hérisser le poil. Elle se maudit de tant de bêtises. Qui se soucie vraiment des réponses à ces questions ?
Il lui sourit.
– On va pas se les geler ici… Tu veux pas prendre 5 minutes pour boire un verre au chaud ?
Emilie n’en croyait pas ses oreilles. Antoine l’invitait, enfin. Même dans ses fantasmes les plus fous, elle n’avait jamais imaginé que ça se ferait sur un trottoir gelé, le jour où elle déciderait de refaire sa garde-robe intime… Ses yeux se posèrent sur l’enseigne lumineuse de la boutique, à quelques mètres. Le hasard lui jouerait-il un tour ? Alors qu’elle s’apprêtait à décliner, elle s’entendit lui dire oui. Les yeux d’Antoine s’allumèrent d’une étincelle, et dans un réflexe, il baissa les yeux vers le sac en papier d’Emilie. Elle s’en aperçut, mais il était trop tard pour le cacher…
Les dés étaient lancés.
ça promet…….
J’aime l’ambiance de Noël et cette première immersion dans un univers féminin jusqu’alors déserté. Et puis cet Antoine qui surgit de nulle part et qui vient bousculer ses habitudes. J’avais l’impression d’y être sur ce trottoir. Magique. Merci