Des mois qu’ils n’avaient plus été poussés. Des mois qu’ils se faisaient une raison. Il faut dire qu’ils avaient bien reçu le message, cinq sur cinq. On leur avait expliqué que tant que le territoire serait occupé par l’Intrus, ils devaient se la mettre en veilleuse, et que ça durerait peut-être bien un long moment. Au début, ils comptaient les jours. Et puis, les jours sont devenus des semaines, et les semaines sont devenus des mois. Bientôt on atteindrait une année entière. Douze mois au placard, au repos, à se tourner les pouces, à se ramollir. Ils entendaient bien la voix soupirer. Ils débattaient entre eux, pensant tantôt à des regrets, tantôt à de la frustration. C’était, pour eux, une évidence, ces soupirs étaient signe d’espoir. Les rumeurs disaient que l’intrus avait déserté depuis des mois, et que les remises en état touchaient à leur fin. Mais le temps commençait à se faire long. Il fallait croire que la voix avait décidé de prendre tout son temps. Ses soupirs n’étaient peut-être bien que des accès de fatigue extrême, des signes d’abandon, des souffles d’écœurement. Et finalement, un samedi, tout s’est éclairci. Ils ont, à nouveau, ressenti ce flux d’énergie, cette drogue douce qui les faisaient planer. Cela faisait bien trop longtemps qu’ils n’avaient pas senti cette force les traverser de part en part, les mettant dans les starting blocks, les faisant frémir d’impatience. La semelle confortable d’une basket neuve est venue se frotter aux plus privilégiés d’entre eux. Le zip d’une fermeture éclair que l’on remonte brusquement a retenti. Une porte a claqué. La voix s’est tue, et les rouages se sont mis à tourner. La lumière est entrée. La machine s’est remise en route. C’est dans une harmonie parfaite qu’ils se sont lancés. Tous ensemble, tous motivés, tous sincèrement heureux de revenir dans la course. Enfin, ils retrouvaient cette délicieuse odeur de transpiration. Ils avaient patienter, et voilà que leur heure était revenue. Ils ne laisseraient pas tomber l’envie fulgurante qui résonnait dans chacun d’entre eux, lançant ses signaux depuis le cœur. Courir est maintenant à conjuguer au présent.