Cette histoire est écrite dans le cadre de l’atelier d’écriture de Leiloona sur son blog bricabook.fr
Pour la rentrée, elle propose de s’inspirer de la couverture du nouveau livre de Donato Carisi, La fille dans le brouillard.
Bonne lecture !
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L’horloge de sa voiture indique 21h03.
Elle n’a pas pu partir plus tôt. Les horaires sont les horaires. Surtout en usine. Elle a regardé les huit dernières heures tourner, les aiguilles empruntant toujours le même chemin. Les flacons de parfum ont défilé sous ses yeux. Il fallait aller vite. Guetter, trier, ranger, emballer. Le bruit d’enfer des machines et des clarks qui tournaient dans le hangar n’étouffaient pas la danse cliquetante des flacons les uns contre les autres. Ils avançaient en rangs serrés, dans une course perpétuelle.
Il lui semblait parfois qu’elle ressemblait à un automate dont les piles commençaient à faiblir sérieusement. La faute aux nuits d’insomnie qui s’accentuaient ces derniers temps.
21h00, l’heure du changement. Peu importe la fatigue, peu importe les huit heures passées, peu importe tout ça. Une fois l’aiguille parfaitement alignée sur le 9 de la pendule, elle a tout oublié.
Elle a retiré ses gants, enlevé sa blouse, et filé vers sa voiture. Sans un regard, sans une parole. Elle s’est laissée happer ce temps d’après qui lui tendait les bras.
L’horloge de sa voiture indique 21h03. Il fait nuit noire en ce mois de novembre. Quand elle croise son regard dans son rétroviseur. Elle est cernée, son teint est gris. La lumière jaune au plafond de sa 106 lui donne un air désespéré. Elle sort sa trousse de maquillage et opère à quelques raccords. Une fois les joues rosies, la bouche brillante et le regard souligné d’un crayon noir, elle envoie sa trousse à l’arrière de sa voiture en la jetant au dessus de son épaule.
Pauline s’installe dans son siège. Elle ferme les yeux et prend une grande inspiration avant de tourner les clés de contact. Il est 21h08 quand sa 106 sort du parking.
Qu’est ce qu’elle lui avait dit déjà ? Prendre à gauche puis, à nouveau, tout de suite à gauche. » Tu peux pas te tromper : c’est toujours à gauche. Tu suis la direction de Sirapenon, et tu seras arrivée en moins de 15 minutes. »
Pas de temps à perdre. Elle jette un œil à droite, sa route habituelle, et tourne gauche. Elle descend la petite rue qui mène au bourg. Au stop, elle a devant elle elle une purée de poix. Ses phares ne lui sont d’aucune aide. Sa visibilité est réduite à 10 mètres. 10 minuscules petits mètres. Il lui semble que la vallée est enveloppée dans une épaisse couverture molletonneuse.
« Tu peux pas te tromper, c’est toujours à gauche « . Elle jette un oeil à son portable posé sur le siège passager, et pense au gros guide michelin posé au fond de son coffre. Un mauvais pressentiment vient s’emparer d’elle. En une seconde. Comme une bouée de secours, une phrase résonne dans sa tête. « C’est toujours à gauche, tu peux pas te tromper ».
A l’intersection, elle tourne à gauche et s’enfonce dans la vallée, filant tout droit. Deux fois à gauche, c’est bien ce qu’elle m’a dit. Le compteur de la voiture ne dépasse pas les 50 kms/h. Son pouls s’accélère. Il est bientôt 21h30, le brouillard ne lui a offert que de brefs moments de répit. 21h40. Son Nokia 3310 sonne. Elle se gare dans le bas-côté.
Où est-elle ? Elle n’en sait rien du tout. Elle a pris à gauche comme elle lui avait dit, et après ? Le téléphone collé à l’oreille, Pauline sort de sa voiture, en quête de quelque chose qui pourrait l’aider. Une borne kilométrique peut-être ? Un panneau qu’elle aurait raté ? En vain.
Elle répète qu’elle a pris à gauche, oui. A la première intersection. Il y avait combien de routes possibles ? Trois. Quatre avec la route d’où elle arrivait et qu’elle aurait pu suivre. Une à droite, une franchement à gauche et une légèrement à gauche. Bien sûr, elle a pris celle franchement à gauche…
C’était pas celle là qu’il fallait prendre ? Mince… Elle l’entend soupirer, puis après quelques secondes de silence elle lui annonce qu’elle arrive la chercher, avant de raccrocher brutalement. La tonalité de fin de communication vient surprendre l’oreille de Pauline. Elle a perçu de l’agacement dans sa voix. A moins que ce ne soit de la colère ? Soudain, l’angoisse l’envahit. Sa gorge se serre, et son ventre se noue. Ça sort comme un torrent. Les larmes coulent le long de ses joues emmenant avec elles le peu de mascara qui lui restait. Elle est perdue au milieu de nulle part. Elle a tout gâché. Bientôt la soirée touchera à sa fin, et elle aura même raté le gâteau et la remise de cadeau.
Elle remonte dans sa voiture, allume ses feux de détresse, et pose son front sur le volant. Il est 22h09. Elle jette un regard à sa boîte à gants avant de l’ouvrir. Elle en sort un petit paquet jaune, enrubanné d’un bolduc couleur or. Dedans, un bracelet. Celui qu’elle voulait offrir à son père. Le bracelet du pardon. Trois ans qu’elle ne l’a pas vu. Et un mois qu’elle est en relation avec sa belle-mère pour tenter de renouer le lien. Elle y tenait à cette date. Elle y tenait à ce rendez-vous. Combien de temps va-t-elle attendre ici ? Elle se retourne, et s’étire jusqu’à saisir le plaid qui recouvre sa plage arrière. Elle s’en enveloppe, avant de fermer les yeux. Ne plus voir l’horloge. Les aiguilles, toujours dans le même sens. Le même chemin. Elle voudrait les arrêter, en vain. Tic-tac sur le tableau de bord.
Il est 22h45 quand elle sent les phares d’une voiture l’éblouir. Elle ouvre les yeux. Quelqu’un s’est arrêté devant elle. Une silhouette semble se détacher dans l’épais brouillard. Pauline ne parvient pas à la distinguer.La silhouette s’approche. Lorsqu’elle entre dans le halo de ses phares, son visage se fige. Ce n’est pas une femme…
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A découvrir, La fille dans le brouillard de Donato Carisi, chez Calmann-Lévy, 20€50
Marie Kléber says
C’est un texte chargé de suspens Julie. Bravo! On aurait presque envie d’en lire davantage.
Julie says
Merci !
Leiloona says
Wow, une jolie montée de l’angoisse, je n’ose imaginer la suite !
Je suis contente de te relire ! Tu reviendras ? 😉
Julie says
Oui, ca me plairait bien 😉 on verra selon les sujets ! A bientôt
Curieuse grignoteuse says
C’est drôlement bien mené! J’ai hâte de découvrir d’autres textes 🙂
Julie says
Merci ! Ça m’a bien plu de l’écrire en tout cas !
Louise Morgendorfer says
J’ai beaucoup, beaucoup aimé, la précision de tes descriptions, la montée de la tension, en fait tout.
Julie says
C’est toujours difficile de guider le lecteur sans trop lui en montrer… 😉
victor says
Oh lala ! Le suspens n’a fait que monter en puissance, mon dieu quel fin… Une histoire qui me restera pour très longtemps en tête, sans aucun doute !
Julie says
Ca fait toujours quelque chose de savoir qu’une histoire sortie de ma propre imagination vient s’insérer dans l’imaginaire de quelqu’un d’autre. C’est touchant !
Benedicte D. says
Une ambiance poisseuse de brouillard et l’angoisse qui monte….La sienne et la notre….Il ne fait pas bon se perdre sur certains chemins chez toi !…Bravo, c’est bien fait et bien écrit.
Julie says
avoir réussi à faire de l’angoisse du personnage celle du lecteur, c’est un joli compliment!
Titine says
Suspens, suspens, tu nous tiens bien en haleine jusqu’au bout !
Sabine says
Parfaitement d’accord, sacré art du suspens! La tension croissante nous envahit progressivement. Je suis autant saisit par la chute que la Pauline par la vue.
Nady says
Un très beau texte plein de suspens qui demande une suite j’espère ! Bravo !